Leïla Chettaoui : «Grâce au consensus bancal entre Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, Ennahdha a pu se permettre de ne pas se remettre en question et reconnaître ses erreurs » La guerre des mots encore et toujours entre le Front populaire et Ennahdha autour de l'assassinat des deux dirigeants frontistes Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd en 2013. Depuis cette date, c'est toujours le même scénario avec des accusations, des suspicions de la part du Front, et en face, des démentis et une accusation récurrente, celle d'une prétendue récupération politique. Cette année, les frontistes ont choisi le jour de la rentrée parlementaire pour jeter un pavé dans la mare. "Un organisme spécial" et "secret" piloté par le mouvement Ennahdha serait derrière l'assassinat de Chokri Belaïd le 6 février 2013. Les réactions ne se sont pas fait attendre, et bien évidemment Ennahdha dément et menace de porter plainte contre le Front populaire, notamment contre le député Mongi Rahoui. D'autres politiques, en revanche, demandent à la justice de se saisir de ces nouveaux éléments et de mener l'enquête. Mais quel sera l'impact politique de ce nouveau "rebondissement" ? Ne manquant pas l'occasion de mettre à mal le gouvernement, le député de Nida Tounès, Mongi Harbaoui, a demandé au gouvernement de prendre ses responsabilités et "d'éclairer l'opinion publique" sur une question aussi importante ayant un lien direct avec "la sécurité nationale". Le FP peu bavard sur les réseaux d'embrigadement de jeunes Pour sa part, Leïla Chettaoui, députée membre de la Coalition nationale, qui milite depuis quelques années pour faire la lumière sur les années noires 2011-2014, et notamment sur les réseaux d'envoi des jeunes dans les zones de conflit, a exprimé ses regrets que ces questions n'aient pas été traitées de la manière qu'il faut à l'intérieur de la commission d'enquête parlementaire relative de la commission d'enquête sur les réseaux d'embrigadement qu'elle présidait. "Lorsque j'étais présidente de cette commission, Mongi Rahoui qui représentait le Front populaire, était vice-président, nous dit-elle. Et je n'ai pas vu un engagement et un engouement particulier de sa part". Elle estime que cette commission pouvait entre autres donner des éléments de réponse quant aux assassinats politiques. Chettaoui regrette que le Front populaire ait finalement choisi d'agir en dehors des institutions alors qu'il avait une chance historique au sein d'une commission d'enquête parlementaire. Leïla Chettaoui rappelle à ce propos que le sécuritaire Issam Dardouri auditionné au sein de cette commission avait déjà donné des informations semblables à celles révélées par le Front populaire dans sa conférence de presse. A propos d'Ennahdha, Leïla Chettaoui soutient : "J'ai voulu piloter une enquête en bonne et due forme, dans un cadre institutionnel. Quand je vois que dans cette commission aucun ministre de la Troïka n'a été auditionné et qu'il y avait très peu d'implication de la part des frontistes, je me dis que c'est dommage", déclare-t-elle à La Presse. Politiquement, Chettaoui estime qu'Ennahdha, grâce au consensus entre Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, a pu se payer le luxe de ne pas se remettre en question. "Ce consensus bancal a fait qu'Ennahdha se sente à l'aise, dit-elle. Elle aurait pu démocratiquement admettre ses erreurs du passé, mais non ! Elle se sent protégée".