Au début, c'est une affiche mystérieuse et des indications presque à la dérobée. Illégal, le film d'Olivier Masset-Depasse, est un drame sorti en salle en Belgique le 13 octobre. Un film belge, luxembourgeois. Veinards que nous sommes qu'on se dit ! Grâce aux JCC, on s'offre une aubaine inespérée. C'est assurément une première africaine. Et puis, très peu fréquentés sous nos cieux, les films belges sont généralement d'une haute facture. Dépêchons-nous de goûter au spectacle. Un peu moins de deux heures plus tard (c'était avant-hier), on ne ressort guère de la salle de projection (l'ABC) indemne. On est tout accablé. Révolté. Fatigué par tant de violences que s'administrent les hommes. Systématiquement, le plus naturellement du monde. Moralement même si l'on peut dire. Pour être un drame, le film d'Olivier Masset-Depasse en est un. Avec toute la cruauté qui sied à la vraisemblance du genre. Une chute hyperréaliste en vérité. Une plongée dans l'univers kafkaïen et infernal des centres de détention des immigrés clandestins et sans-papiers en Belgique. Mais ça pourrait être en France, en Italie, en Espagne ou dans n'importe quel autre pays européen, démocratique, libéral, droit-de-l'hommeiste à souhait. Aseptisé, clinquant neuf, volontiers donneur de leçons au reste de la planète en matière de bonne gouvernance et de légalité. Le principal de la trame du film se passe au cœur d'un centre de détention pour immigrés clandestins. Tania Zimina (Anne Coesens) est une femme russe. Elle est arrivée en Belgique depuis huit ans et vit à la diable avec son fils Ivan (13ans). Bien intégrés, ils n'ont pas pour autant de papiers d'identité et de séjour valides. Ils vivent dans la clandestinité jusqu'au jour où ils se font contrôler par la police de l'immigration. Tania se fait prendre. Ivan s'échappe de justesse. La mère est envoyée manu militari dans un centre de détention pour sans-papiers. On veut l'expulser. Elle résiste. C'est un film poignant, plein de barreaux, de cellules étroites et de lugubres clairs-obscurs. Il transpire la violence, suinte la détresse d'hommes, de femmes et d'enfants accablés, la peur, l'isolement, la solitude. Les centres de détention sont des mouroirs. Les immigrés clandestins y sont traités en criminels. Les policiers les torturent psychologiquement et physiquement. Les sans-papiers y sont – à quelques exceptions près qui le paient de leur vie au bout du compte - comme des automates aux ressorts vitaux cassés. Des ombres qui rasent les murs de prisons d'infortune, silencieux, méfiants, meurtris, chuchotant à peine leur profond désarroi. Les décors, les cadres sont suggestifs, reproduisant l'atmosphère démentielle des centres de détention des étrangers. Les couleurs sont ternes, délibérément froides, dégageant un sentiment diffus de meurtrissures et de souffrances. Anne Coesens campe magistralement son rôle. Ses moues, ses tics et son regard vous lacèrent en un tournemain. Olivier Masset-Depasse a intentionnellement planté sa caméra dans une zone obscure. Son propos est de s'adresser à nous tous là où ça fait mal. Il s'en explique dans un entretien: "Tania, le personnage principal, est une Russe sans-papiers, une " illégale " comme disent les autorités. Pourquoi ce titre au masculin, alors ? Parce que c'est le système que je considère " illégal ", pas Tania. Ce sont ces centres de rétention administrative qui sont illégaux dans nos pays, censés respecter les Droits de l'Homme. La grande majorité des sans-papiers détenus dans ces centres ont dû fuir la misère, la dictature, la guerre, etc. Et lorsqu'ils arrivent chez nous, après un voyage souvent éprouvant et dangereux, on les accueille en les mettant en prison. On les traite comme des criminels. D'ailleurs, la Belgique a déjà été condamnée quatre fois par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour traitements dégradants et inhumains. C'est dire si l'accueil de mon pays est à la hauteur de ses idéaux. Le film se déroule en grande partie dans un centre de rétention administrative". L'Europe-forteresse s'avise de combattre la prétendue invasion des barbares. Elle s'y investit avec des méthodes qui la rabaissent elle-même dans l'état de barbarie. Une barbarie qui plus est étatique, institutionnalisée et savamment théorisée. C'est-à-dire légitimée. Avec Illégal, on pleure la déchéance des hommes, de tous les hommes. Les larmes ont certes un goût salé, mais tendre. Parce que tant qu'il y a fable, il y a espoir. Veinards que nous sommes ! Les larmes, ça doit bien servir à quelque chose. Il nous faut bien souvent pleurer pour devenir conscients.