Au nom de la politique européenne de coopération avec les pays du Sud qui s'articule autour de ce qu'on appelle " développement solidaire ", " l'immigration choisie " fait figure de filtre au compte-gouttes. L'élargissement à l'Est de l'Union Européenne a créé de nouveaux besoins au sein de cette communauté économique régionale. Le passage à 27 s'est accompagné de changements en matière de partenariat avec la rive Sud de la Méditerranée engendrant ainsi des répercussions sur la politique intérieure par rapport aux immigrés. Les Bulgares, les Roumains, les Polonais et les autres ont des droits communautaires et ils occupent désormais les premiers paliers sur l'échelle des priorités. La politique européenne de coopération avec les pays du Sud prône le développement solidaire. Elle s'articule autour de projets d'infrastructure, de formation appropriée aux besoins communs du Nord et du Sud et, également, de délocalisations des industries et des services qui peuvent être exécutées en dehors de l'UE. Cette orientation s'est accompagnée d'une nouvelle politique en matière d'immigration qui consiste à filtrer les entrées selon les besoins des pays receveurs de ressortissants étrangers avec des listes d'emplois recherchés. Il n'en demeure pas moins que ces listes d'emploi sont très restrictives. Ces mêmes restrictions ont été observées même dans la politique intérieure vis-à-vis des immigrés et, notamment, la lutte contre l'immigration clandestine. Il va sans dire que les autorités en place ont une idée approximative du nombre d'immigrés clandestins vivant chez eux et de leurs occupations dans le marché de l'emploi. Ce n'est pas un hasard si le gouvernement français a décidé de rapatrier 25.000 clandestins annuellement. Cette approche se base sur des études actuelles en matière d'immigration et sur des projections faites en rapport avec l'élargissement de l'Europe. Pour voir plus clair dans les changements intervenus dans la politique française à l'égard des immigrés installés en France, Le Temps a interviewé de Paris M. Fathi Tlili, le président de l'Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens " UTIT ". Interview :
*** Fathi Tlili, président de l'UTIT : " la situation des immigrés marche à reculons "
. Comment a évolué la politique française en matière d'immigration ? Fathi Tlili : Cette politique a évolué d'année en année. Si on se limite à 2006, 2007 et 2008, la loi Sarkozy a déjà restreint en 2006 le droit d'entrée et de séjour des étrangers ainsi que le droit d'asile. En 2007, avec la création du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale, et du co-développement, mettant en place l'outil institutionnel de l'immigration choisie dont les anti-immigrés ont toujours rêvé depuis l'après guerre sans avoir pu y parvenir. La loi Hortefeux qui a suivi, relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile n'a fait que renforcer les pouvoirs discriminatoires à l'encontre des personnes étrangères ou immigrées. L'annonce de la création de ce ministère a suscité une très vive opposition en particulier à cause de l'association des termes " identité nationale " et " immigration ", comme si les personnes immigrées mettaient en péril la République, rappelant des logiques de triste mémoire comme celles de l'Etat colonial.
. Qu'est-ce que vous reprochez à cette politique ? - La nouvelle politique française en matière d'immigration s'illustre, depuis cette date, par une politique de reconduite à la frontière, avec des objectifs chiffrés et des résultats imposés. Les préfets ont été convoqués en vue de se répartir les quotas prévus. Des élus politiques, des associations de défense des étrangers ont vivement critiqué cette mesure qualifiée de " politique du chiffre " au détriment des droits humains et familiaux les plus élémentaires. Cela a même provoqué les critiques de certains policiers chargés de ces arrestations. Par ailleurs, cette politique d'expulsion a nécessité un budget élevé au moment où la communication gouvernementale met le point sur la " crise " et le fait que " les caisses sont vides ". Le journal Les Echos estime les dépenses de rapatriement des émigrés clandestins à quelque 687 millions d'euros en 2007. Ce qui représente environ au moins 27 000 Euros (50.000 dinars) par personne reconduite si l'on considère 25 000 personnes comme l'indiquent les statistiques officielles. Sans compter les coûts indirects pour les policiers mobilisés pour les contrôles d'identité.
. Et pour ce qui est des réajustements à opérer ? - Parmi les revendications portées par les associations de défense des droits de l'Homme, figure celle qui exige la suppression des " zones d'attente " et des centres de rétention où, de plus, les conditions de détention sont dénoncées comme illicites et inhumaines. Il n'est pas non plus concevable que l'aide humanitaire apportée aux personnes " sans papiers " par de nombreux citoyens, par des associations telles que Réseau Education Sans frontières, par des élus, fasse aussi l'objet de mesures attentatoires aux libertés. Autre droit essentiel mis à mal par la loi 2007, celui des nouvelles conditions du regroupement familial.
. Et pour conclure ? - La nouvelle loi a instauré la discrimination : elle sépare des familles bafouant ainsi un droit élémentaire. Elle ne saurait mener qu'à des stratégies de trafic de visas, encourageant les réseaux mafieux, elle est porteuse de mort pour ceux qui risquent leur vie afin d'aider leurs familles à survivre, elle réprime les personnes " sans papiers " plutôt que les profiteurs en tous genres qui sont aux commandes, à l'origine d'une politique d'oppression et d'injustice sociale. Le dispositif de loi en vigueur ne s'attaque pas aux vrais problèmes : les réseaux de trafic d'êtres humains, la surexploitation par le travail clandestin, les conditions de vie indignes. Ce dispositif reflète une hypocrisie patente vis-à-vis des droits de l'Homme. Les Français " d'origine étrangère " sont confrontés à des discriminations de type raciste dans leur vie professionnelle et quotidienne. Les originaires de Tunisie, les Tunisiens, ne sont pas épargnés. Il faut espérer que les actions de résistance et de solidarité se multiplient avec toutes les personnes et forces de bonne volonté, pour défendre une égalité réelle, un véritable respect des droits de l'Homme, une solidarité internationale pour construire et mettre en pratique les valeurs de liberté, de justice, de laïcité et de démocratie. L'ensemble de ces mesures suscitent l'opposition active des différents collectifs au sujet de la défense des personnes " sans papiers ", des forces progressistes dans leur ensemble et leur diversité, associations, partis et syndicats.