Un projet de charte de l'université tunisienne est actuellement en cours de discussion. Une rencontre sur ce thème a été organisée samedi dernier au siège de l'Association Vigilance. A part l'affaire du nikab, le projet de thèse préconisant que la Terre était plate ou la dégradation du niveau des facultés tunisiennes dans les classements internationaux, l'université tunisienne défraie rarement la chronique. Pourtant l'université connaît depuis près de trente ans de nombreux dysfonctionnements. C'est ce qui a poussé l'Association tunisienne de défense des valeurs universitaires (Atdvu) à travailler sur une charte universitaire tunisienne. La version qui a été discutée dans le cadre des cercles de la liberté d'expression de l‘Association Vigilance samedi dernier n'est pas finale. Les discussions organisées ici et ailleurs autour de ce texte rédigé par des professeurs de diverses disciplines, dont Mahsouna Sellami, Nihel Ben Amar, Taoufik Karkar, Zeineb Toujani, Gleya Ksira Maatallah, Khaled Kchir, Kmar Bendana,Sihem Kchaou, Mouna Tekaya, Azza Sellami, Latifa Rajhi, Habib Mellakh… vont permettre d'améliorer son contenu. Emergence de l'extrémisme religieux « L'université tunisienne a 60 ans d'existence. Trente glorieuses, où les pères fondateurs y ont ancré un esprit critique et un rayonnement dépassant les frontières nationales et trente malheureuses. Depuis 1988 commence la décadence suite entre autres à la suppression des élections au sein des conseils scientifiques, à la limitation des prérogatives des doyens au profit des présidents des universités, à la prolifération des universités privées et des cours particuliers, et à la baisse du niveau général de l'enseignement», explique le Professeur Khaled Nouiser. Après la révolution, certes la police a quitté les campus et la censure sur le Net a disparu, mais apparaît alors un autre défi, le fléau de l'extrémisme religieux : «Ses adeptes ont voulu réduire les libertés au sein des universités tunisiennes, faire pression sur les enseignants et assujettir les normes académiques aux dogmes les plus obscurs», ajoute le Pr Nouiser. L'intervenant énumère les cas de dépassement du code déontologique de l'espace universitaire : un mastère soutenu à huis clos en 2017 parce que l'étudiant est un ministre, à savoir Imed Hammami, la rédaction d'un projet de thèse où une étudiante remet en question la théorie de la gravitation de la Terre autour du soleil, les affaires de plagiat, la plus fameuse concerne l'Institut supérieur agronomique de Chott Meriem, dépendant de l'Université de Sousse (voir encadré). Cinq ans de gestation C'est dans cette ambiance de lourdes menaces qui pèsent sur l'autonomie des universités, de l'indigence de leurs laboratoires de recherche, de la faiblesse de leur taux d'employabilité, de la dégradation de la qualité de l'enseignement et de la marchandisation du savoir qu'est née l'idée de l'élaboration d'une charte universitaire tunisienne. Ce texte, resté en gestation pendant cinq ans, cherche à éviter une plus grande érosion des acquis de l'enseignement supérieur. Il s'inspire des recommandations de l'Unesco de 1977 dans ce domaine et des valeurs de la nouvelle Constitution. Parmi les principes et valeurs de la charte, on cite la liberté académique, l'autonomie et la bonne gouvernance de l'université, la responsabilité et l'éthique. Un bilan sur la situation actuelle s'impose Sur l'autonomie le projet de charte stipule : «L'Université ne peut jouer pleinement le rôle qui est le sien si elle se trouve organiquement assujettie à quelque autorité qui ne reconnaît ni l'esprit libre ni la liberté de penser parce que ce rôle réside dans la production d'un savoir fondé sur la pluralité et la diversité des idées ainsi que sur des recherches objectives et d'enquêtes sur le terrain destinées à faire parvenir à la vérité scientifique, source du savoir universel qui réunit l'humanité». Le texte aborde également les obligations du corps des enseignants chercheurs et des chercheurs, les droits et les devoirs des étudiants, les rapports de l'universitaire avec ses collègues. «Ce document se veut également une vision prospective jetant les bases d'une université créatrice, réactive, ouverte sur le monde et sur toutes les composantes de son environnement. Notre espoir est que la communauté universitaire adopte cette charte et que celle-ci recueille la plus large adhésion», concluent les rédacteurs de la charte. Dans une tentative d'évaluation de ce projet le Professeur Abdessatar Sahbani, sociologue, a noté que rien du contexte tunisien n'apparaît dans la charte. Il recommande de faire un état des lieux de la situation actuelle, une étude qui complèterait le projet, faciliterait son application et permettrait de faire de l'université « la locomotive pour réfléchir et donner les grandes orientations concernant le développement du pays », a-t-il ajouté.