Celui qui nous a quittés il y a deux jours était une des figures les plus convaincantes de notre francophonie profonde, dans le sens où la langue française n'était pas pour lui un simple moyen de communication ou d'échange qu'il maniait avec rigueur et prestance : c'était pour lui le lieu d'une habitation joyeuse. Lui qui pouvait être ombrageux et même taciturne par moments laissait transpirer une bonne humeur indéniable dès lors qu'il se plongeait dans l'élément de la langue française. C'est cette image que nous garderons de Nébil Radhouane, qui est par ailleurs un parfait bilingue et la preuve que l'université tunisienne est capable de produire le meilleur. Nos chemins se sont croisés en 2009, à l'occasion du lancement d'un supplément littéraire auquel il a participé. Cela a donné une rubrique hebdomadaire consacrée à la stylistique, qui était son « véritable jardin », comme il nous le confiait dès le départ dans notre correspondance, en rappelant qu'il est l'auteur d'un « dictionnaire de stylistique, rhétorique et poétique » ainsi que d'un « ouvrage sur la syntaxe descriptive ». Chaque semaine, les lecteurs du supplément littéraire avaient ainsi droit à ses « Fleurs de rhétorique », où il était question de synecdoque, d'oxymore et autres curiosités de la stylistique. Le sérieux de l'académicien le disputait à la malice enjouée du passionné ! Nébil Radhouane s'était exilé à Riyad, où il enseignait, et envoyait de là-bas ses articles. Peut-être qu'au-delà de certaines considérations financières qui peuvent entrer en jeu dans la décision de partir, y avait-il quelque chose de froissé chez cet être exigeant et peu prompt au compromis. C'est pour nous l'occasion aujourd'hui de rappeler à qui de droit que l'université tunisienne se doit de retrouver le moyen de garder en son sein ses éléments les plus valeureux. Encore une fois, ce n'est pas qu'une affaire d'argent : c'est aussi une affaire de tact. Le destin, et les circonstances politiques de l'époque, ont certainement écourté une collaboration journalistique qui aurait très bien pu se prolonger… Le désir ne manquait pas de son côté et il était prêt à changer de cap, en s'intéressant aux «best-sellers». C'est en tout cas le désir qu'il nous avait exprimé en 2013. Mais notre pays n'avait plus alors la tête aux actualités littéraires, et personne ne semblait soucieux d'offrir au citoyen tunisien, ni sur les colonnes de notre journal ni ailleurs, des escapades d'où l'esprit serait revenu chaque fois rafraîchi et ragaillardi pour affronter le quotidien : dommage ! Adieu donc, l'ami… Une dernière chose, néanmoins que l'on se doit d'évoquer en cette circonstance. Nébil Radhouane, que nous ne prétendons pas connaître en dehors de cette expérience somme toute modeste, avait le sens de l'amitié. Nos rares échanges de mails en sont empreints, mais notre souvenir va à l'une de ses publications, par laquelle il avait un jour rompu la régularité de sa rubrique habituelle en évoquant la mémoire du poète Mnawwar Smadah : il se sentait une proximité de cœur avec les auteurs chez qui la richesse poétique se marie avec un certain oubli… Et il avait raison !