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La «joie grammaticale»
Fleurs de rhétorique
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 06 - 2010


Par le Pr Nebil RADHOUANE
Cette fleur sera la dernière d'une saison dont, j'espère, on aura offert aux lecteurs les bouquets littéraires les plus variés et les brassées les plus belles que l'on doive au charme du style. Chaque mercredi et neuf mois durant, le supplément littéraire de la Presse de Tunisie a tenu le contrat difficile de traiter de toutes les questions et d'explorer tous les domaines ayant un rapport avec la pensée, en ménageant des proportions égales aux genres littéraires, à la philosophie et à l'actualité de la recherche universitaire. Un accent particulier a été mis sur le patrimoine littéraire tunisien et maghrébin, avec ses symboles et ses figures phares. J'ai donc pu, en marge de cette rubrique, présenter les parcours singuliers de poètes aussi peu réhabilités que Mnawwar Smadah et Benedetto Felix Pino. Je regrette de n'avoir pas eu le temps de présenter un troisième auquel je m'étais pourtant promis de rendre hommage : le poète algérien Moufdi Zakariyya, tunisien de formation et d'adoption.
Je regrette aussi de n'avoir pas consacré de billets indépendants à certaines figures que j'ai considérées mineures ou dérivées, et dont certains amis m'ont reproché l'omission, comme l'adynaton (forme d'hyperbole), la digression, et toutes les figures propres au genre théâtral : les stichomythies (répliques vers pour vers dans le théâtre classique), les didascalies (indications scéniques), le quiproquo, etc.
Le billet «Fleurs de rhétorique» a parlé chaque semaine d'un fait de style, d'un procédé littéraire ou d'une figure de l'argumentation en essayant, autant que faire se peut, de dépasser le souci du jargon et de la taxinomie. Au-delà même de la pertinence littéraire ou oratoire du procédé, il a même été question de trouver une jonction avec des considérations philosophiques, psychologiques et culturelles renvoyant à une doxa universelle. Plus que des ornements oratoires, plus que des oripeaux d'éloquence, les fleurs de rhétorique sont également surprises dans le parler quotidien. La parole, au sens saussurien, la performance oratoire, ne sont pas l'apanage des écrivains et des poètes, mais doivent beaucoup et aussi souvent au génie du parler et de l'usage. La profusion des figures dans le langage courant est toujours une marque de singularité culturelle ou une empreinte spécifique de l'individu.
D'aucuns trouveraient beaucoup trop technique cette manière d'aborder le style et le discours, ce qui serait beaucoup trop injuste. Car on peut constater sans effort que derrière cette technicité apparemment desséchante, transparaît une passion toute littéraire, voire poétique, du commerce des mots. Non pas les mots pour les mots, mais le génie de la parole au service de ce qu'il y a de plus indicible, mystérieux et «silencieux» dans l'homme. En dépit de la rigueur académique d'une telle procédure, il s'avère donc que l'approche est résolument lyrique. Le recours intermittent aux «grilles» linguistiques, les «fouilles» étymologiques et les renvois sans appel à l'autorité de la philologie romane, tout cela évoque ce que Saint-John Perse, dans l'une de ses correspondances, nommait la «joie grammaticale». Est-ce seulement une mission dont on se serait investi ? Bien plus et encore moins qu'une simple profession, c'est une passion et une jouissance, peut-être même un besoin.
Et ce besoin se justifie de mille manières. D'abord, par les surprises que nous prévoient les connotations des mots, leurs polysémies, leurs ambiguïtés, leur réverbération et leur charme incantatoire. Et Baudelaire disait leur «alchimie». En eux-mêmes, hors contexte, ils sont quasiment «insignifiants» (c'est le cas de le dire). Intégrés dans le discours, poussés dans l'espace du dire, ils nous entraînent dans leur tourbillon sémantique. Ce n'est pas le mot en soi qui signifie mais la structure où il se produit, même quand cette dernière est une métaphore endormie ou carrément morte, une collocation ou une expression figée et toute faite. Wittgenstein disait bien que les mots n'existent pas et que seuls existent les emplois.
Le plus passionnant encore est l'histoire des mots, ce qui ajoute à la «joie grammaticale» un plaisir étymologique. Aussi captivante que l'histoire d'une vie humaine, celle des mots, qui ne sont jamais amnésiques de leur origine, «réveille» souvent des significations tellement justes, tellement légitimes et plausibles ! Il suffit de voir l'émerveillement de vos étudiants lorsque vous leur dites, par exemple, que leur «copain» est, étymologiquement, celui avec qui ils partagent le pain, et que ce n'est pas une fantaisie phonétiste mais un croisement réel du préfixe latin cum, qui veut dire «avec» et panis (le pain), forme que l'on retrouve dans «panier». Lorsque vous leur apprendrez que le mot «travail» vient de tripalium, appareil de torture à trois pieds (on reconnaît «tri», «pal» et «empaler» dans cet étymon), le même vertige les prend, auquel succède ce plaisir de la trouvaille qui leur fait découvrir que même aujourd'hui, où le sens du mot s'est considérablement affaibli, le «travail» suppose toujours, conformément à son étymologie, la notion de «douleur» : un effort (donc une souffrance) rémunéré ! Quelles ne furent d'ailleurs ma surprise et celle de mes camarades, alors encore étudiants, lorsque feu Brahim Gharbi, le plus grand latiniste qu'ait connu l'université tunisienne, nous interrogea un jour : «Qui peut me dire l'étymologie du mot “hystérie”?». Lorsqu'il vit que personne ne savait, il répondit : «utérus» ! Revenant à mes dictionnaires, j'ai appris que le mot était effectivement emprunté au grec hustera (utérus en latin) et que l'hystérie était jadis considérée comme un dysfonctionnement de l'utérus, métonymie de l'appétit sexuel. Se disant aujourd'hui aussi bien des hommes que des femmes, le mot a donc subi une généralisation, une extension sémantique. En médecine, pour désigner l'ablation de l'utérus, on dit bien «hystérectomie», où l'on reconnaît d'ailleurs le même radical que dans «hystérie».
Je compris alors pourquoi feu Brahim Gharbi nous avait posé cette question apparemment vide, à laquelle il donna vite une réponse qui allait se révéler évidente.
Immense professeur qui mérite qu'on lui rende témoignage et hommage. C'est bien lui qui nous initia à la «joie grammaticale» !


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