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« Le désir d'écrire... pour retrouver ce qui a été perdu »
La Presse Lettres, Arts et Pensée : Entretien avec Mustapha Tlili (I)
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 11 - 2010

L'entretien qui suit a eu lieu à l'occasion de la dernière Foire du livre. On y découvre de plus près celui qui compte parmi les grandes figures de la littérature tunisienne en langue française, l'auteur de La rage aux tripes, de Gloire des sables et de Un après-midi dans le désert : Mustapha Tlili. Heureuse initiative que nous devons au Pr. Samir Marzouki, et heureuse rencontre pour marquer la reprise de ce supplément, dans sa version enrichie.
En raison de sa longueur, nous le présentons en trois parties. Voici la première.
Commençons par la sempiternelle question de la langue. Vous êtes romancier francophone. Or, vous dominez plusieurs autres langues que le français. Pourquoi, entre toutes ces langues, avez-vous opté, pour ce qui est de l'écriture littéraire, exclusivement pour le français ?
Ce n'est vraiment pas un choix. Cela va de soi. J'écris en français parce que le français a fait partie de ma vie depuis l'âge le plus tendre. Ce fut le cas d'une génération élevée dans ce qu'on appelait, à l'époque, le système scolaire franco-arabe, apprenant l'arabe en même temps que le français et, en ce qui me concerne, apprenant le français à l'âge de cinq-six ans – car mon père essayait de me parler aussi un peu en français avant même que je n'aille à l'école – en même temps que j'apprenais le Coran. Le matin, c'était bien planifié : réveil à cinq heures et demie et, tout de suite, après un verre de lait et un morceau de pain avalés en deux minutes, départ chez le meddeb pour apprendre le Coran avant de me rendre à notre école à deux classes, chez M. Taverne, ensuite M. Witchmann. Et être à l'école voulait dire non seulement apprendre le français mais s'instruire, se cultiver, être éduqué en français dans toutes les matières. Cela ne se posait pas en termes de choix; c'était tout à fait naturel.
J'ajouterai que cette relation au français est une relation très intime – on pourrait s'étendre après sur les tensions à l'intérieur de cette intimité. Il se trouve que, dans mon cas, je suis à cheval sur trois cultures au moins, la culture arabo-tunisienne, la culture française et la culture américaine. Il est vrai que j'ai été tenté d'écrire de la fiction en anglais. Par exemple, mon agent littéraire aux Etats-Unis m'a souvent incité à écrire des nouvelles ou autres textes en anglais, mais j'ai toujours refusé, parce qu'il y a ce rapport d'intimité dans la possession de la langue française, possession dans le sens d'un rapport très intime, presque la possession d'une femme. Et donc je réserve l'anglais aux essais, à la fois les essais universitaires et intellectuels, les essais d'analyse intellectuelle. Pour l'arabe, je dois dire que j'en ai perdu l'usage depuis longtemps ; c'est regrettable. Je le lis et le fréquente mais je ne l'écris pas au point de me sentir à l'aise pour y articuler des idées avec une facilité, surtout une certitude qui me semblerait rassurante.
Votre rapport au français est donc un rapport à la création. Vous créez en français ?
C'est un rapport à la création et c'est un rapport tout à fait naturel, organique, qui va de soi, qui n'est pas du tout dicté par un choix, qui coule de source. Les premières images, les premiers mots qui ont alimenté mon existence ont été des images de Pierre Loti, des images de Flaubert avec la langue qui les charriait, qui les véhiculait. En même temps, il y avait le Coran. Pour moi, la culture arabe c'est d'abord le Coran, ses sonorités, sa musique, l'univers qui est le sien. Les deux se mélangent et se nourrissent réciproquement. Et d'ailleurs, on a souvent relevé chez moi – la critique a relevé chez moi – cette façon d'imposer au français des rythmes qui ne s'inscrivent pas dans l'histoire de la langue française mais qui renouvellent la langue française en lui imposant certaines tournures, une certaine musique qui n'est pas naturellement celle du français, qu'il soit classique ou autre, le français du terroir français. C'est là la langue de Tlili. C'est ainsi.
Le fait que vous ayez longtemps vécu en milieu anglophone et que vous y viviez encore, cela n'a-t-il pas modifié quelque peu ce rapport presque charnel au français ?
Oui, cela a modifié ce rapport charnel, je vais vous dire pourquoi. Vous le verrez, c'est, je crois, surtout sensible dans un roman comme Gloire des sables. La phrase parfois y est affectée par la langue anglaise, américaine surtout, ou en porte la marque, que ce soit dans l'utilisation des adjectifs ou la structure même de cette phrase.
Et je trouve que, parfois, l'anglais, surtout l'anglais américain, a beaucoup de puissance quand il s'agit de mettre en scène des personnages en utilisant les mots avec économie. Il dit et il a cette puissance de mettre les choses devant vous avec deux ou trois mots, ce que, parfois, le français ne possède pas. Le français est parfois trop intellectuel, disons qu'il oscille entre le trop intellectuel et le trop poétique. Entre les deux, il y a l'anglo-américain qui, lui, peut, en deux mots, dire les choses, qui est plus rapide, plus direct, plus efficace. Il y a cela mais il est certain aussi que j'ai lu, que je lis la littérature américaine qui m'a pénétré énormément et que je fréquente davantage que la littérature anglaise. Pour moi, les auteurs qui m'ont marqué, après les auteurs classiques français - mais mes lectures en français se sont arrêtées à un certain stade de l'histoire littéraire française — sont des auteurs américains. Depuis que je suis aux Etats-Unis, depuis début 70, mes lectures sont des lectures américaines et c'est la littérature américaine moderne, enfin moderne et contemporaine, la littérature du XIXe et surtout du XXe siècle. Et là, j'ai trouvé, aussi bien dans le roman américain que dans la poésie américaine, avec T. S. Eliot, avec Ezra Pound notamment, toute une matière, tout un univers à la fois d'images et d'approches du monde, avec une langue qui est tout à fait particulière, qui m'a marqué et qui, probablement, nourrit aussi mon écriture en français. Il y a tout cela, il y a ce mélange, il y a T.S. Eliot, il y a Faulkner, il y a Hemingway qui m'a beaucoup marqué et, en définitive, j'ai eu tout le loisir de créer une langue à moi. Ce ne sont pas des choix, ce sont des choses qui font partie du cheminement de la création.
Cette langue qui est à vous, avez-vous l'impression de l'avoir trouvée immédiatement avec La Rage aux tripes ou est-ce que vous la construisez peu à peu, de roman en roman ?
Non, je crois l'avoir trouvée avec La Rage aux tripes, immédiatement. Et d'ailleurs, je suis devenu écrivain à New York. J'attendais le moment, je voulais écrire. Vous savez, c'était le rêve de ma génération. Nous étions cinq ou six, avec Régis Debray, avec trois ou quatre autres, à rêver d'être un jour les Malraux de notre époque, de notre temps. Malraux c'était quand même la figure emblématique par excellence. Pour ma part, j'attendais, j'attendais simplement le moment. C'est pourquoi j'ai fui Paris parce que je sentais que j'étais trop impliqué dans l'Histoire qui me concernait, trop près d'une certaine manière aussi de tout ce qui était plaisir de l'absorption. Je n'arrivais pas à sortir les choses et c'est en arrivant à New York que j'ai été ébahi par cette ville et que j'ai senti que, là, je pouvais devenir écrivain, que, là, je pouvais commencer à écrire.
C'est venu tout de suite ?
Tout de suite. La Rage aux tripes, je l'ai écrit en trois ans et voilà, c'était sorti comme ça. J'attendais… C'était une espèce de fleuve qui était nourri par toutes sortes d'affluents et qui, à un moment donné, explose et avance. C'est comme ça que c'est arrivé. Donc, en fait, je ne crois pas que j'ai changé de style, je ne crois pas que j'ai changé de langue, ni en fait de musique, ni d'images, d'imagerie, d'univers imaginaires. Tout reste le même, évidemment les histoires changent.
Les histoires changent et le propos demeure à peu près le même. Est-ce que cela signifie que cela correspond à quelque chose qui est en vous, qui était en vous depuis toujours et qui devait un jour, pour voir le jour, prendre diverses formes, s'incarner en divers avatars ?
D'une certaine manière. Vous savez, je ne sais pas qui a dit cela mais quelqu'un a dit qu'on écrit toujours le même roman, on écrit toujours une seule histoire et le reste, ce sont des variations. C'est un peu comme les thèmes musicaux. Quand vous écoutez du Mozart, c'est plus ou moins des variations sur le même thème; de la même manière, chez Beethoven, c'est toujours des variations sur le même thème, que ce soit dans les symphonies ou dans les morceaux plus courts de musique de chambre.
C'est vrai pour l'écrivain aussi, je crois. En tout cas, c'est ma conception de l'écriture. Mon enfance a été marquée par cette tradition particulière de la Tunisie : " en-naddêba ". Lorsque quelqu'un mourait, avant qu'il ne soit accompagné à sa dernière demeure, à l'époque – je ne sais pas si les choses ont changé, quand on était capable de le faire, on louait les services d'une " naddêba ", une pleureuse publique qui venait pleurer le mort. Et, d'une certaine manière, je crois, le fait d'avoir vécu certaines choses, le fait d'avoir dû quitter ceux qui m'étaient chers ont fait que, à un certain moment, il y a eu ce désir d'écrire qui est pour moi le désir de l'incantation, le désir du chant lyrique pour retrouver ce qui a été perdu.
La littérature est donc en rapport avec le passé de l'écrivain; c'est une résurrection du temps passé ?
Pour moi, l'écriture, c'est cette tentative, désespérée parfois, de retrouver le temps, d'essayer d'imaginer ce qui a pu être, peut-être parfois ce qui n'a jamais existé. C'est la fonction de l'écriture, de donner à imaginer parfois aussi ce qui n'a jamais existé, ce qui aurait pu exister et aussi donner à imaginer ce qui a existé mais qui n'existe plus. Il est évident que ma génération a vécu une rupture, la rupture de la décolonisation, le passage d'un moment de l'Histoire à un autre, avec tout ce que cela impliquait. Après tout, quand vous êtes gosse, vous ne vous posez pas les grandes questions stratégiques, pourquoi doit-il y avoir des Français au lieu qu'il y ait des Arabes qui vous enseignent, pourquoi devrait-il y avoir une gendarmerie ou une poste. C'était comme ça, c'était l'Histoire, ça existait, c'était de l'ordre du vécu. Ce vécu faisait partie de ma vie et puis on se réveille en grandissant et tout ça est remis en question. C'est un temps qui est révolu et il y a des êtres humains, il y a des familles, il y a des tragédies, il y a des moments durs, d'autres qui le sont moins, d'autres qui ne le sont pas, qui sont joyeux et donc c'est le temps qui est passé, c'est le temps perdu. Pour moi, l'écriture c'est de donner à voir ce qui, d'une certaine manière, a existé de cette façon, dans l'éphémère, mais qui, aussi, est peut-être imaginé parce que je l'imagine davantage comme imaginé et je vois cela presque dans une vision, à travers les yeux d'un enfant, et je pense aussi, je pense profondément, c'est ma conviction, que tout art, s'il n'est pas nourri par cette tentative de retrouver ce qui a été perdu, est un art futile, que ce soit en peinture, en musique ou dans l'écriture, dans la poésie avant tout; s'il n'est pas ancré dans cette recherche du temps perdu, il est futile. C'est pour cela que Proust reste, pour moi, le romancier de tous les temps, puisqu'il est le premier à avoir fait de cette tentative le centre et le corps même de son œuvre.C'est aussi malrucien en même temps. Malraux dit en effet que l'art est un anti-destin, qu'il fixerait en quelque sorte ce qui est éphémère, ce qui est appelé à disparaître.
Tout à fait.
(A suivre)


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