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Azza Filali (auteure) : «Ecrire? Traduire l'imprévisible et nourrir le rêve!»
L'entretien du lundi
Publié dans La Presse de Tunisie le 04 - 06 - 2012

Quel rapport existe-t-il entre littérature et politique? Et de quelle façon précise la littérature induit-elle à assumer son rôle politique dans la cité... la nôtre, aujourd'hui? Une telle question n'est pas seulement théorique, elle engage sur un chemin qui ouvre sur des rencontres singulières...
Azza Filali est l'auteure d'un livre qui a reçu le Comar d'Or il y a quelques semaines: Ouatann, publié aux éditions Elyzad. Ce dernier titre s'ajoute à une série d'autres romans, par rapport auxquels il marque peut-être comme une rupture de style, ou de propos. Mais, au-delà de cette évolution, il y a une sorte de souci qui traverse tout le parcours : elle nous en parle!
Le titre de votre dernier roman, Ouatann (patrie), a une connotation politique qui est en tout cas moins explicite dans les livres précédents. Pourquoi ce changement, d'autant que le projet date, n'est-ce pas, d'avant la révolution?
En fait, la connotation est plus citoyenne que politique. Pour moi, ce mot est une quintessence des valeurs d'appartenance à un lieu, à un groupe social... Il n'a pas une implication étroitement politique. C'est dans l'appartenance à un groupe social et au mal-être d'une société que le mot trouve son ancrage pour moi.
On a l'impression à vous lire que le thème de la patrie pourrait être rejoint à travers le fait que la langue française est réquisitionnée pour dire un univers qui relève profondément de la culture tunisienne. Est-ce qu'il n'y a pas là un élément qui fait le lien entre votre dernier livre et les précédents?
Il y avait déjà, dans les livres précédents, une volonté de dire une société qui me paraissait bien malade. Dans L'heure du cru, je ne fais que cela : à travers le prétexte de cet adolescent, je dépeins des adultes qui sont en quête d'un équilibre, de valeurs qu'ils ne sont pas parvenus à retrouver... Chacun va les chercher dans un lieu, l'un dans l'enfance, l'autre dans un ailleurs... La question est double en fait : il est vrai que Ouatann se situe un petit peu à distance des autres ouvrages, dans la mesure où, peut-être par un effet de saturation, je suis parvenue à un moment où il fallait dire des choses, en empruntant une tonalité d'engagement politique, qui s'est imposée à moi, que je n'ai pas cherchée au départ : je voulais dépeindre des êtres, donner un panorama de certains types humains qu'on rencontre fréquemment dans le pays. Et donc, là, je me suis retrouvée à les mettre ensemble... Les mettre ensemble, cela voulait dire les faire parler. Automatiquement, il fallait qu'ils prennent position. Et en prenant position, ils faisaient de la politique... Je n'ai rien contre cela : moi je suis ce qu'ils disent, quelque part, je ne décide pas de faire une intrigue à fond politique ou à fond social... Moi, mon désir, c'étaient des êtres, avant tout. C'était camper des êtres et forcément les mettre en relation.
Maintenant, il y a un autre problème que vous abordez et qui est fondamental : comment dire le mal-être d'une société dans une langue qui n'est pas la sienne? C'est bien cela que vous vouliez dire?
Oui, il y a une part de patriotisme dans cette sorte de revendication à faire servir cette langue à l'expression de quelque chose qui est très local...
Je n'ai pas beaucoup d'estime pour la francophonie, dans le sens d'une obédience à la langue française à travers tout ce qu'on peut en faire, et en particulier pour les écrivains de langue française et qui ne sont pas français. Je pense qu'une langue est universelle : elle fait partie d'un patrimoine universel. Il est vrai qu'elle a les couleurs, les saveurs du groupe social qui l'anime. Mais, par-delà cela, cette langue appartient à tout le monde, et on a le droit de la transformer, de la faire muer, de la violenter... Regardez ce que font les Antillais par exemple avec la langue française. Et donc d'en faire quelque chose qui devient sien et dans lequel on peut transmettre des émotions... Moi, en écrivant en français, je suis très tunisienne en fait : je n'ai pas du tout de hiatus. La langue est pour moi un véhicule et mes émotions sont tunisiennes, incontestablement... Mon mal-être est tunisien... Réellement, je ne pense pas du tout que j'écris en français quand j'écris.
Est-ce que l'écriture relève pour vous de l'engagement politique ou est-ce que c'est au contraire une façon de prendre congé de l'espace public?
Je m'inscris dans l'espace public, mais pas forcément en termes de registre politique. Pour moi, ce qui importe, c'est de décrire des êtres, à travers les tourments, le vécu, les joies, les façons d'être heureux ou malheureux... J'ai une passion pour les êtres, une empathie... C'est sans doute lié à mon métier de médecin, peut-être : mais j'ai été moulée pour apprendre à écouter et à partager... Parce que le médecin partage, quoi qu'on dise : et cela m'a laissé une espèce de réceptivité à l'égard des autres. Quand je suis avec des gens, malgré moi je perçois des choses, et puis ça me revient après, et je me rends compte que j'ai emmagasiné une foule de petites choses furtives, mais qui sont très importantes... Donc, ce que j'essaie de faire en écrivant, c'est raconter des êtres, et les raconter comme je les sens, comme je les vois. Parce que souvent, ça part de choses vécues, de petits moments très minuscules. Et, donc, plus que le politique, c'est le social qui m'interpelle, qui m'émeut, qui me touche, qui me fait écrire. Et d'ailleurs le texte sur lequel je travaille actuellement revient, à travers la peau, à essayer de parler des êtres... En essayant, et c'est difficile, à chaque fois de revenir à la peau comme à cette espèce de contact que nous avons avec autrui, comme à notre couche, notre protection la plus extérieure, la plus vulnérable, la plus sûre et la plus évidente d'une certaine manière... Or, comment est géré aujourd'hui le contact avec autrui dans un environnement où, justement, la peau fait problème?... C'est éminemment social, au sens de vécu social. Il faut que les choses atteignent en moi une densité... m'étreignent, pour que je puisse écrire. C'est pour cette raison que je n'arrive pas à écrire à propos d'événements qui passent, qui n'ont pas eu le temps de me travailler de l'intérieur. Il y a un travail de transsubstantiation de l'être qui écrit par l'événement...
Il y a dans votre écriture une tension qui s'exprime entre un respect des mots et une utilisation qui les fait servir à une sorte d'insubordination, de refus de la norme... On est souvent surpris de tel propos inattendu dans telle description, d'une audace qui prend au dépourvu : qu'est-ce qui se cache derrière ce choix?
En vérité, ce n'est pas un choix, c'est une manière d'écrire. Je ne choisis pas d'écrire avec des mots abrupts, avec des mots qui déconcertent, avec des mots qui se décalent : je ne conçois pas l'écriture autrement. L'écriture est un lieu de rupture pour moi : ce n'est pas un lieu de continuité, ce n'est pas la phrase fluide, envoûtante... Ce n'est pas un long fleuve tranquille. L'écriture est comme les êtres : quand les gens parlent ensemble, dans une discussion, il y a des arrêts, il y a des reprises, il y a des mots qui surgissent, alors que normalement, ils ne devraient pas : il y a donc une espèce de mouvement totalement imprévisible et parfois surprenant qui est la vie même. Et l'écriture n'est pas un exercice, ce n'est pas une bonne rédaction : elle doit être le plus proche possible de la vie, dans ce que la vie a d'imprévisible, de violent parfois, mais aussi d'harmonieux, parce qu'il n'y a pas que des moments où l'écriture devient décalée dans les textes... Mais cela vient comme ça. Il est vrai... Je sens en particulier dans Ouatann, une tension... j'allais dire, une colère, que je dois restituer, parce que c'est mon vécu... Le fait est que ce livre était animé par une colère, dont je ne savais que faire à la fin... Ce n'était pas la même chose dans les précédents, c'était peut-être un peu plus paisible... Là, il y a une colère, incontestablement. Je ne veux pas trop me l'expliquer, parce que les explications, c'est toujours a posteriori, c'est toujours un peu surfait, un peu arrangé...
Est-ce qu'il y a un lien entre cette insubordination et une forme de patriotisme? Pensez-vous qu'il y a quelque chose de trop convenu dans le patriotisme qui aurait besoin d'être repensé, d'être revisité par la littérature?
Absolument. La littérature est un lieu de subversion, un lieu de rupture, un lieu de création, de création d'autres manières d'être et de faire... Le patriotisme, l'amour du pays, comme d'ailleurs la manière d'être, et la vie tout simplement, méritent d'être le lieu d'une récréation : et je pense que la littérature se prête, justement, à cela, disons à ce genre d'expérience... Je suis tout à fait pour! Alors, «insubordination» veut dire un ordre établi, contre lequel on se rebelle : en fait, que ce soit en politique ou dans les stéréotypes des vies, je ne dirais pas ordinaires mais quotidiennes, ce n'est pas une rébellion contre un ordre établi, c'est un décalage pour trouver d'autres chemins... J'aime beaucoup l'expression «chemin de traverse»! Quelque part, l'ordre est là : on fait avec... C'est une autre manière de le respecter, ou de lui garder sa place... L'ordre est là, mais je cherche ailleurs, je me décale...
Vous contestez l'existence d'un «ordre établi»?
Non, je trouve que c'est tellement stéréotypé la manière d'être patriote ou de vivre sa vie, de se rebeller ou de se révolter contre cela, que les deux se renvoient en miroir... Quelque part, l'un et l'autre ne me satisfont pas : je n'y trouve pas de sève, j'y trouve beaucoup de convenu.
Il y a donc du convenu dans l'insubordination?
Oui, largement. C'est facile de prendre le contre-pied et de dire «Je ne suis pas d'accord!»... Quelque part, on reconduit ce à quoi on s'oppose. Ce n'est pas vraiment comme cela...
Tandis que la littérature réinvente...
Oui! Heureusement que la littérature réinvente la vie, réinvente les êtres... Je suis très heureuse quand je campe des personnages qui sont à la limite de la normalité... qui sont toujours un peu «border line», sur le point de basculer dans quelque chose... et alors parfois ils basculent, comme dans Chronique d'un décalage où j'ai carrément décrit une femme qui devenait folle, mais qui était bien plus sensée que toutes les autres d'ailleurs, mais bon... Ou alors, dans Ouatann, avec le personnage de Mechkat : dans ses agissements, sa manière de bouger, de marcher, de faire les choses est assez décalé... limite entre ce que les bien pensants admettent et ce qu'ils n'admettent pas... Cela va parfois un peu trop loin... Comme s'il y avait une nécessité d'aller-retour, de transgression instable, de transgression intermittente et éphémère pour pouvoir, à la fois être avec les autres et être soi...
Que penses-tu enfin, et de façon plus générale, du rôle de la création littéraire dans la Tunisie d'aujourd'hui : que peut-on attendre d'elle et que peut-elle elle-même apporter?
Beaucoup! Encore faut-il qu'elle soit servie par des êtres qui prennent le pouls, j'allais dire, de la société et qui, au lieu de décrire les choses comme elles sont, inventent d'autres manières d'être et d'être ensemble surtout. Je pense que la littérature, et la culture en général, est ce qui peut sauver une société malade : plus que la politique et ses décisions, ou tout autant, je dirais. Parce que, une vie, c'est des décisions, c'est une comptabilité, mais c'est aussi des projets, c'est aussi un avenir, des attentes, et dans toutes ces choses, il y a le rêve, il y a la part d'illusion qui est essentielle : pour tenir, il nous faut un quart de réalité et trois quarts d'espérance. Et, dans l'espérance, il y a une très belle part qui est faite au rêve. Or, la littérature alimente le rêve : offre un ailleurs qui est nécessaire pour vivre... On a toujours besoin d'un ailleurs pour être là où on est.


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