Par Raouf SEDDIK Les grandes constantes de la politique culturelle sont connues de tous : elles commandent l'ensemble des décisions qui sont prises à travers les différentes saisons, grâce auxquelles la Tunisie gagne à la fois en effervescence et en rayonnement. Ces constantes sont liées à l'attachement à une identité qui est à la fois une et plurielle : une car elle répond de façon rigoureuse à un héritage, celui d'une terre et d'un peuple, sans se laisser détourner de soi par le chant des sirènes d'une certaine mondialisation culturelle qui rime avec érosion et avec banalisation. Et plurielle, d'abord parce que, tout en étant fidèle à elle-même, elle ne manque pas d'être de plus en plus attentive à ce qui fait sa nature irisée à travers les époques, depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à l'histoire la plus récente et, ensuite, parce qu'elle s'affirme dans le désir de rencontrer l'autre, et non de le nier ou de le rejeter : or, dans cette rencontre, se cristallise une forme qui est comme travaillée par une infinité de possibles. Parce que la fidélité à l'identité est pleinement assumée, la crispation identitaire peut être clairement révoquée. Parce que la fidélité est pleinement assumée, l'identité est vécue comme une fenêtre sur les grands espaces du monde, et non comme une citadelle aux murailles surélevées. Cette fidélité, du reste, a régulièrement l'occasion de s'affirmer. Ces derniers mois ont donné lieu à différentes célébrations qui rendaient hommage à de grandes figures de notre patrimoine littéraire et intellectuel : le poète Abou'l Kacem Chebbi, le savant réformiste Cheikh Mohamed El Fadhel Ben Achour, l'artiste chanteur Hédi Jouini, l'écrivain Ali Douaji, le poète Mustapha Khraief… A quoi s'ajoute, tout récemment, le nom du peintre Aly Ben Salem. Chacun de ces noms incarne une part du génie créatif qui nous appartient en propre et qu'il nous revient d'ailleurs de cultiver dans la mémoire de ce qui constitue notre spécificité, malgré la richesse de son expression. Mais il n'y a pas que les figures qui sont célébrées, puisque les villes le sont aussi. Il faut rappeler ici, même si la manifestation s'éloigne quelque peu dans le temps, que la célébration de Kairouan comme capitale culturelle islamique a été un moment fort, en ce qu'elle a permis de rappeler aux uns et aux autres, en premier lieu, le rôle tout à fait éminent qui a été joué dans l'histoire par la ville de Kairouan sur le plan culturel, mais aussi, et en second lieu, de montrer de quelle façon originale et très moderne ce rôle a été joué. En effet, c'est autour de cette ville que l'on a assisté, durant les premiers siècles de l'Islam, à l'émergence d'une vie intellectuelle féconde, ouverte sur les traditions étrangères et sur l'échange des connaissances, alors qu'elle assumait par ailleurs son statut de ville sainte. La célébration s'exprime encore à travers la possibilité donnée aux artistes bien vivants de se produire en nombre dans les festivals. Les manifestations culturelles se sont multipliées ces dernières années, en particulier durant la période estivale, pour atteindre le chiffre officiel de 367. Or le souci se fait de plus en plus évident, qui émane du sommet de l'Etat, afin que ces rendez-vous soient autant d'opportunités données à nos artistes, de sorte qu'ils puissent se faire connaître du public et qu'ils fassent ainsi valoir leurs talents. Une féconde émulation s'installe, aiguillonnée, on l'espère du moins, par une critique éclairée et vigilante, qui encourage à l'originalité et qui demeure attentive aux accents particuliers de notre patrimoine propre. L'Etat apporte tout le poids de ses structures et de ses encouragements financiers afin de favoriser une implication qui soit la plus large possible dans le domaine de la création artistique, à travers la diversité de ses aspects. Ceci a été visible en cette année qui a été consacrée au cinéma, et où les aides à la création ont été substantiellement augmentées. Nous devrions assister à des mesures analogues en faveur du livre et de la lecture dès le début de l'année prochaine puis, l'année d'après, en faveur de la musique et de la danse, l'année suivante, en faveur du théâtre et, en 2014, en faveur des arts plastiques. La dynamisation de la vie culturelle, cependant, se tourne de plus en plus vers le secteur privé comme possible partenaire. Comme partenaire, en particulier sur le terrain du développement du tourisme culturel et de la valorisation de nos richesses archéologiques dans le sens d'une diversification de notre produit touristique. Une carte nationale du tourisme culturel devrait bientôt voir le jour qui servira de guide en vue de mettre en valeur les potentialités de chaque région. Mais le secteur privé est également sollicité afin de jouer son rôle de promoteur dans le domaine de l'industrie culturelle : un créneau rentable qu'il s'agit désormais d'occuper pleinement et à travers lequel le génie créateur tunisien aura la possibilité de jouir d'une audience considérablement élargie, dès lors que cette industrie est en grande partie tournée vers l'exportation. Enfin, la Cité de la Culture, qui devrait bientôt voir le jour puisque ses travaux sont en voie d'achèvement, devrait consacrer cette vocation de notre production culturelle à concrétiser la dimension internationale de notre vie culturelle : elle jouera en effet le rôle de vitrine de nos grandes créations, tout en accueillant dans ses murs des créations remarquables venues de l'étranger. Autant d'initiatives présidentielles avant-gardistes qui traduisent la volonté et la détermination du Président Ben Ali de faire de la Tunisie un pôle permanent de rayonnement culturel.