Par Jalel MESTIRI La morale sportive peut-elle avoir un fondement politique? Les relations entre sport et politique font souvent l'objet d'appréciations contradictoires. La plupart des acteurs du monde sportif — dirigeants, pratiquants, éducateurs — croient en un sport par essence apolitique. Et lorsque le politique se fait trop pressant, ils dénoncent et condamnent ce qu'ils considèrent comme un détournement ou une perversion. De leur point de vue, le sport doit être gardé de toute ingérence politique, il n'a rien à faire ni à voir avec les luttes idéologiques. Cette politique de l'apolitisme vise à préserver l'autonomie du champ sportif. Il est cependant difficile de comprendre le phénomène sportif et les méandres de son histoire sans considérer les dimensions politiques. En d'autres termes, si les acteurs impliqués n'en ont pas conscience ou refusent de l'admettre, le sport semble objectivement relever du politique même s'il apparaît comme un lieu implicite ou illégitime du politique. La neutralité du sport et sa séparation de la politique ne sont plus aujourd'hui garanties. On attire de plus en plus l'attention sur les erreurs auxquelles pourrait conduire l'hyper-politisation du fait sportif. Nombreuses et variées sont les prises de position conditionnées et la plupart du temps dénaturées. La plus évidente est la politisation croissante de tout ce qui a trait à l'activité sportive. Au centre de controverses, certaines parties sont allées même à définir, à leur manière, quel type de valeur le sport devrait détenir. Le sport tunisien a perdu ces dernières années son innocence morale. La tendance à le politiser a engendré dans le paysage médiatique une certaine spécificité. Cela est visible dans les discours, mais aussi et surtout dans la manière avec laquelle le sport est appréhendé. Il ne fait aucun doute que les identités de nombreuses personnes et leur sentiment d'appartenance sont inextricablement liés à leur représentation, personnelle ou collective, du monde sportif. Il ne vient rarement à l'esprit de ceux qui assistent et qui prennent garde à cette politique de s'interroger sur les exigences du sport d'aujourd'hui. Le sport est certes synonyme de concurrence et de compétition, de victoire ou de défaite, et il se prête parfaitement à des métaphores du combat et de l'action politique. En particulier dans la jeune démocratie tunisienne, où la plupart des hommes politiques ne manquent pas d'en faire usage. Le sport pourrait-il ainsi se transformer en manière de gouvernance ? L'affichage des performances, de la connaissance et de la passion pour les sports ne serait-il pas devenu un moyen « d'éliminer » ses adversaires politiques ? Les années postrévolution ont inauguré une nouvelle ère du sport tunisien, une ère médiatique à outrance. Entre démocratie médiatique et prise de position populiste, il n'y a plus visiblement de frontière.