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Le cri d'alarme des artisanes
REPORTAGE — Les potières de Sejnane
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 02 - 2019

La poterie est une tradition ancestrale actuellement menacée à cause des difficultés de distribution et de commercialisation rencontrées par les artisanes
Au bord d'une route quasi désertée, les passants se font encore rares sur la route reliant Bizerte au village de Sejnane, au nord de la ville. Sur une partie de l'estrade, des objets de poterie attendent souvent le passage du premier véhicule.
Du haut de ses 60 ans, Rebeh Saidani, potière originaire de Sejnane, le visage buriné et épuisé, a l'habitude de s'y installer, dit-elle à l'agence TAP. Depuis ses 10 ans, cette potière, dont les conditions sont précaires, mène un combat quotidien pour survivre et faire vivre la poterie.
La poterie est un métier et un savoir-faire transmis par ses parents et ses grands-parents. Une tradition ancestrale qui est actuellement menacée à la lumière des difficultés à commercialiser les objets de poterie. Le circuit de commercialisation est accaparé par les intermédiaires dont certaines potières contestent le monopole, ce qui accentue encore la vulnérabilité du métier et fragilise financièrement ces femmes artisanes.
Ce lundi 18 février, la journée de fin d'hiver s'annonce ensoleillée. La sexagénaire a décidé de se déplacer pour exposer ses poteries. Elle est venue rejoindre ses collègues potières qui exposent à l'occasion de la célébration de l'inscription du savoir-faire des potières de Sejnane sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. L'évènement est de taille pour ces femmes, surtout avec la visite annoncée du ministre des Affaires culturelles, des experts en patrimoine et des médias locaux. Un long moment s'est écoulé avant de voir stationner le véhicule de service qui devait l'amener sur la place publique de la région où se sont rassemblées les autres potières. Une journée pas assez ordinaire pour ces femmes cherchant à commercialiser leur poterie. D'habitude, les ventes demeurent limitées et se font pour des sommes dérisoires, loin des prix exorbitants auxquels sont vendues ces poteries dans les commerces de la capitale ou sur les étagères de certains magasins en Europe où elles sont généralement exportées.
Partagée entre ses souffrances et ce sentiment de tristesse qui marque son visage, Rebeh Saidani, la voix crispée, se désespère du manque d'implication de l'Etat, dit-elle. Lassée, elle se plaint : «On se fatigue pour assurer les besoins vitaux de nos familles alors qu'on vend nos produits à des sommes dérisoires. Le prix de la seule pièce ne dépasse pas les 10 dinars.»
Absence d'une structure d'appui et parcours du combattant
Tout comme elle, d'autres potières expriment clairement leur besoin d'être appuyées et accompagnées afin de pouvoir continuer à exercer leur métier et assurer la passation de leur savoir-faire aux plus jeunes.
Ce métier spécifique à la région est exclusivement pratiqué par des femmes. Les objets exposés ont déjà effectué un long circuit. Le parcours du combattant pour les quelque 380 potières comme Rebeh dans cette zone humide, riche en végétation et en argile qui sert à la réalisation des célèbres poteries de la région.
Ce chiffre qu'avance le président de l'Association de sauvegarde de l'environnement à Sejnane, Mongi Bejaoui, est aussi annonciateur d'une situation précaire des familles, auxquelles appartiennent ces femmes, aux moyens financiers limités. L'argile, produit de base pour ces poteries aux diverses formes, provient des roches sédimentaires dans les zones avoisinantes de la délégation de Sejnane. Après leur extraction, les roches argileuses sont transportées par les femmes elles-mêmes à destination de leurs foyers où chaque artisane consacre une partie de la maison pour la poterie. Avant d'obtenir un produit final, la potière achète le bois de forêt dont l'usage sert à chauffer et cuire l'argile. Selon un extrait du site de l'INP, «l'argile est le plus souvent extraite dans les lits d'oueds. Débitée en mottes, elle est concassée sur l'aire de travail, puis épurée et détrempée, ce qui lui confère une certaine plasticité par pourrissage. Elle est ensuite pétrie puis malaxée avec une quantité proportionnée de dégraissant (tafoun) ...»
Ce texte, extrait du formulaire de candidature au patrimoine mondial de l'humanité, décrit les différentes étapes suivies par la potière. «Après lissage, le pot est mis à sécher, puis il est poli à l'aide d'une coquille d'hélix et engobé. Une fois cuites dans un foyer à ciel ouvert, les poteries, de forme carénée, reçoivent un décor losange, bicolore, rayonnant ou concentrique, tracé à l'ocre rouge et au jus de feuilles de lentisque caramélisé par un second passage au feu, dans la pure tradition maghrébine et méditerranéenne».
Le document décrit aussi les motifs dessinés, souvent en forme géométrique (triangles, losanges, chevrons simples ou ciliés et pectinés) qui renvoient aux formes des tatouages traditionnels et tissages berbères. Selon Rebeh Saidani, pour une seule pièce, il faut «pas moins de 6 jours entre la collecte de l'argile, son modelage et sa transformation» en un ustensile pour la cuisine ou un objet de décoration sur lequel sont dessinés des motifs inspirés des traditions des tribus berbères qui habitaient les hauteurs de plusieurs régions d'Afrique du Nord.
Les motifs inscrits sur la poterie de Sejnane, généralement sous formes géométriques, renvoient à ce désir de liberté et une conception de l'univers qui traduit une forme d'expression spontanée.
Ces mêmes motifs sont aussi utilisés sur les tapisseries artisanales dans diverses régions du pays. L'industrie de la mode et du textile a également emprunté les anciens motifs et les a transposés dans le secteur du prêt-à-porter et de la tapisserie moderne.
La poterie de Sejnane, produit artisanal naturel et complètement traité à la main, se distingue de celle réalisée dans d'autres régions du pays, comme à Nabeul (Cap Bon), à Moknine (Monastir) et sur l'île de Djerba (Médenine), largement améliorée par l'introduction de la machine.
Un savoir-faire exclusivement féminin
Dans ces régions, la poterie est aussi généralement un métier d'hommes, sauf qu'à Sejnane, la poterie est exclusivement un métier de femmes.
Cette spécificité de la poterie de Sejnane a «favorisé son inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco», selon l'expression de Imad Soula, expert et chercheur à l'Institut national du patrimoine. Il défend «un savoir-faire à dimensions historique, anthropologique et économique».
Pour cet expert, l'inscription de la poterie de Sejnane sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco est «une reconnaissance internationale de haut niveau qui valorise le patrimoine artisanal local, ce qui doit impliquer, à son avis, l'adhésion de l'Etat et la société civile, dont notamment le tissu associatif à s'investir dans cet exploit». Il suggère l'élaboration de «programmes culturels, éducatifs et de développement à même d'aider à sauvegarder et perpétuer ce patrimoine pour les générations futures».
Les préparatifs du dossier de Sejnane, entamé en 2016, étaient passés par plusieurs étapes, du tri jusqu'à l'inventaire des éléments en relation avec l'inscription du savoir-faire des potières de Sejnane sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. A la lumière du peu d'expositions dédiées à ce patrimoine artisanal ancestral, la commercialisation du produit des potières de Sejnane connaît certaines difficultés, ce qui a eu un net impact sur la qualité, a encore estimé l'expert. La création d'un véritable circuit compétitif pour la commercialisation de la poterie de Sejnane dans des espaces d'exposition permanents s'avère indispensable pour la survie de ce patrimoine artisanal millénaire, mais aussi des femmes laborieuses comme Rebeh.
Le revenu de cette sexagénaire dépend du passage des quelques véhicules qui sillonnent les routes agricoles de la campagne de Sejnane, déjà peu nombreux, même durant les jours ensoleillés.


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