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«Une bibliothèque est une chambre d'amis»
OPINIONS
Publié dans La Presse de Tunisie le 08 - 11 - 2010


Par Aymen Hacen
Il est des mots qui nous habitent, si bien que nous avons besoin de les écrire et réécrire à l'infini, sur une feuille blanche ou dans un carnet, pourvu que le contact de la main avec la plume et le papier donne lieu à une révélation. Il en va ainsi du mot «nécessité». Mot à examiner, à décrire et dont il nous semble nécessaire de deviner la portée. À quoi bon des définitions et des théories ? Il en faut pourtant, puisqu'il est impératif de crever l'abcès, au risque d'avoir la gangrène, de tomber de Charybde en Scylla.
Ayant choisi délibérément le français comme langue d'expression poétique (bien avant de nous lancer dans des études de lettres françaises), nous nous trouvons aujourd'hui cantonné dans un espace, une tradition, voire une école, s'il en est une, qui nous sont étrangers. Cela vaut autant pour nous que pour maints écrivains de notre pays qui, pour des raisons aussi diverses que complexes, ont élu demeure dans la langue de l'Autre, suscitant ainsi l'étonnement et parfois la désapprobation de certains des leurs en même temps que la curiosité et le questionnement des lecteurs natifs de la langue de prédilection. Que cela soit dit entre parenthèses, mais après le fameux «Ah ! Ah ! monsieur est Persan ? C'est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ?», il nous arrive d'avoir droit à des phrases comme : «Vous écrivez en français ? Il vous est donc possible d'écrire en français ?»
Ainsi, les livres de nos auteurs qui écrivent dans la langue de l'Autre sont, par exemple, rangés dans les rayons consacrés à la littérature francophone regroupant tout à la fois le champ maghrébin, négro-africain et arabe d'expression française. Un fatras d'auteurs et de livres en tous genres, en marge de leurs aînés, contemporains et parfois même amis natifs de cette langue. Pourquoi ? — «Par souci d'ordre et de clarté», répondent les bibliothécaires. Alors que Samuel Beckett, Henri Michaux, Mircea Eliade, Eugène Ionesco, Emil Cioran et Julien Green, pour ne citer que ceux-là, sont classés parmi les auteurs français, ou faut-il préciser franco-français ? Pourquoi ? — «Parce qu'il s'agit là de très grands écrivains, publiés dans les grandes collections, souvent dans les différents programmes scolaires et, qui plus est, sont Français !» — Mais ni Beckett ni Green ni Cioran n'étaient titulaires de la nationalité française. Beckett a reçu le prix Nobel de littérature en 1969 à titre d'écrivain irlandais, Green, succédant à François Mauriac en 1971 à l'Académie française, a décliné l'offre de Georges Pompidou qui lui a proposé la nationalité française ; Cioran, quant à lui, a été mis à la porte de l'hôpital Broca deux semaines après son internement: il n'était même pas affilié à la Sécurité sociale !
Cela fausse donc toute la donne et renvoie nos auteurs à une réalité dramatique, car non seulement la parole biblique «Nul n'est prophète en son pays», qui est si ressassée par nos écrivains qu'ils ont fini par y croire comme on croit à une implacable et tragique vérité, semble légitime, mais encore la malédiction se poursuit quand la première parole, «Nul n'est prophète en son pays», se transforme en «Nul n'est prophète en dehors de son pays».
Nulle fatalité cependant. Il faut simplement faire appel au mot «nécessité» pour lever la malédiction, à moins que d'aucuns préfèrent vivre sous le signe de Saturne ou de quelque autre marque de désenchantement. Mais, pour celui qui a foi en l'avenir, en son talent, en sa langue de création, rien n'est impossible. Celui qui obéit à sa propre nécessité tout en vivant pour la polir, l'humaniser et la rendre universelle n'a pas à s'inquiéter. «Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l'homme, le respect des autres êtres avant l'amour-propre», écrit Claude Levi-Strauss dans le troisième tome de Mythologiques, intitulé L'origine des manières de table.
C'est à ce titre que la question de la langue nous semble fondamentale. La question que nous sommes en droit de nous poser est la suivante : pour écrire, par exemple, en français, exceller et, peut-être, créer, faut-il être Français et vivre en France ? Ou bien suffit-il d'être rompu à la langue française, d'en être amoureux, au moment où il est devenu impossible de glorifier la langue et même de croire qu'elle peut encore dire quelque chose ? Cela vaut aussi pour les autres langues que nous pouvons non seulement pratiquer, mais encore dans lesquelles nous pouvons créer. N'est-il pas salutaire d'élever nos voix, de les poser sur le monde et de rejoindre nos aînés naturels en criant haut et fort : «Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi».
Sans doute ce bonheur-là est-il possible dans la mesure où le départ, voire les départs de Rimbaud émanent du nécessaire besoin de se réaliser sous d'autres cieux avec sa langue comme seul viatique. Et les lettres de Rimbaud aux siens sont la preuve indéniable de ce que Cioran dit du français, même s'il le présente à chaque fois sous la forme d'une boutade : «Un homme qui se respecte n'a pas de patrie. Une patrie, c'est de la glu» et «On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre».
En appréciant et riant jusqu'aux larmes grâce au «gai désespoir» de cet exilé qu'est Cioran, nous pouvons chercher ailleurs nos titres de transport, à la croisée des mots et des immenses continents qu'ils déplient au fil des pages, car si on nous lit parce qu'on s'attend peut-être à des évocations un tant soit peu exotiques des longs palmiers dattiers et des oasis du désert tunisien, du crépuscule à Sidi Bou Saïd, du hammam, des cafés de la médina de Sousse ou de Tunis, des chats qui errent dans les rues, on sera forcément déçu. Peut-être s'attend-on aussi à un témoignage sur la situation politique de tel pays frère ou ami, sur ce que nous pensons du voile, des kamikazes en Irak et en Palestine, etc. Sans doute s'attend-on à ce que nous roulions les r en parlant, ou à ce que nous remplacions systématiquement les u par des i. Mais non ! Nous n'en finirons pas de nous enthousiasmer, par exemple, devant le mot «initiation» dont les quatre i évoquent pour nous un temple grec, un tétrastyle, reposant sur quatre colonnes. Ceux qui nous liront pour glaner des informations sur notre pays et sur nos origines seront déçus. Ceux qui nous liront en vue de faire de nous un objet d'étude anthropologique ou ethnologique seront également déçus. Ceux qui nous liront pour faire de nous un instrument de torture pédagogique seront davantage déçus. Nous ne voulons pas que ceux-là nous lisent, nous ne voulons pas que ceux-là nous écoutent, nous ne voulons pas que ceux-là cherchent à nous connaître, car au fond, et comme tous les écrivains chez qui écrire relève de la nécessité, nos auteurs et hommes de lettres s'adressent à leurs amis, ceux qui les connaissent déjà et ceux qui voudraient les accueillir dans leur amitié, spontanément, naturellement et sans a priori, car comme l'écrit à juste titre Tahar Ben Jelloun : «Une bibliothèque est une chambre d'amis».


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