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Au bonheur de l'exil
Notes de lecture - Glorieux mensonge de Aymen Hacen
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 03 - 2012

Jésus pleura devant le tombeau après avoir dialogué avec les sœurs du défunt. Du Mont des Oliviers, il l'interpella, le ressuscita, Lazare, celui qui fut exilé dans le monde des défunts. Généreuse est cette Mort qui appela l'Agneau à le secourir. Et Lazare, le méconnu, l'homme parmi les hommes devint Lazare, celui qui trouva Marseille où il devint le premier évêque et le patron, qui retrouva son royaume...
Mourir pour être secouru, se tuer pour être restitué, ou du moins, évoquer le décès ce qui nous est le plus cher... il n'est pas sans intérêt de mentionner que toute une tradition littéraire fut bâtie sur ce projet.
Je serai quand même bientôt tout à fait mort enfin. Peut-être le mois prochain. Ce serait alors le mois d'avril ou de mai. Car l'année est peu avancée, mille petits indices me le disent.
Tel est l'incipit de Malone Meurt de Beckett. Plus proche de nous, le philosophe et psychanalyste Patrick Declerck commence son roman Socrate dans la nuit, avec : «Je suis mort à 8h, 47 exactement, je le sais parce que j'ai regardé ma montre»
De même, l'incipit de Glorieux mensonge débute avec «Aujourd'hui, je suis mort ; non, je ne plaisante pas : je vois mon corps étendu sur le lit, là, non loin de moi ; je suis comme d'habitude, assis de biais à ma table de travail, comme lorsque ma mère se repose ou fait la sieste dans mon lit ; mais aujourd'hui je suis mort ; non, je ne plaisante pas ; elles sont là toutes les deux : je les vois, ma mère et ma fiancée ; elles sont là et elles pleurent, à chaudes larmes ; mais moi, aujourd'hui, je suis mort : je ne peux plus pleurer».
Il est d'une évidence singulière que la mort est un leitmotiv assez récurrent dans l'œuvre de l'écrivain. Est-ce le fruit d'une affection pour les adeptes de Thanatos, d'une croyance à l'incontournable retour du pire, à l'inévitable, mais non moins méprisable divertissement pascalien ? Sommes-nous face à une invitation à la haine, de soi, du corps et du monde ? Seule une lecture sommaire, sinon naïve, pourrait nous induire dans de telles erreurs d'interprétation, voire nous exiler et nous empêcher d'habiter le sens du texte.
Pour Aymen Hacen, la mort n'est pas ce génie musagète et ne sera jamais l'unique mesure de toute chose. Elle est juste une clé, une façon de tuer le personnage pour le restituer, autrement dit, à travers une vision (n'oublions pas que le titre du premier chapitre est «Juste une vision»), cette exécution de papier pousse, sinon oblige le personnage d'être conscient de ses limites, et donc de ses capacités, d'être attentif et à l'espace qu'il occupe et au temps qu'il traverse. Ainsi commence l'«exil», un exil «intérieur», un «exil métaphysique», pour reprendre l'expression de Cioran. Nous apprenons, au fil des pages, que ce «parfait intégré» est désarçonné. La découverte de la France, de la Roumanie, l'allégresse de ses souvenirs, son dynamisme et son esprit critique signifient moins «une vie heureuse» que le permanent souci de soi, la patience pratiquée sur le mode stoïcien, le pur plaisir d'exister érigé en idéal épicurien. Toutefois, au sein de cet exil, le personnage voit naître des songes et des souvenirs stimulés par l'expérience esthétique, notamment la musique folklorique arabe, le culte voué à Mahmoud Darwich et à maintes autres figures de tous ordres : poètes antéislamiques, mystiques, plumes modernes. Conséquemment, ce «Je», jadis «désarçonné», entre en transe, connaît l'expérience intérieure chère à Bataille, cultive «le sentiment océanique», dont parlait Romain Roland à Freud. Bref, il frémit en présence de tout ce qui touche de près ou de loin à sa Terre Natale, la Tunisie, son paradis perdu. Rien n'est plus expressif à cet égard que ce petit extrait : «La voix de Sabah Fakhri, que j'ai eu la chance de rencontrer à Sousse en 2002, revenait souvent vers moi, tonitruante et lascive, comme ma propre virilité en ces moments de solitude où, humain et mortel, j'avais besoin d'aller, non dedans moi, dans ma solitude, mais ailleurs, pour que rien ne fût si grave ou, «bien méchant» comme disait mon ami, le Régisseur de la Bonneamour. Lui aussi avait besoin d'amour, et il me le disait. J'étais – et je serai encore et toujours – son ami, et j'écoutais ce qu'il me disait. L'amour, oui l'amour d'une musulmane, la circoncision contrariée et néanmoins volontaire (allez savoir !), la mloukhia de la belle-mère, les deux enfants nés dans l'euphorie, les désaccords, le divorce, la solitude».
De ce fait, l'Exil est certes métaphysique, sans aucun doute géographique mais il est par-delà tout «méthodique». En d'autres termes, Glorieux mensonge se situe à l'exact contraire d'Yvon Rivard, pour qui: «Le paradis est le plus court chemin vers l'enfer». Renversons cette formule et considérons, contrairement à lui, que le plus court chemin vers le paradis passe par l'enfer.
Ainsi, l'expérience de l'Exil inaugurée par la pensée de la Mort s'avère douloureuse, pis encore, paralysante. Cependant, cet instinct de lutte et cet esprit de révolte revendiqués, tout au long du roman, constituent une invite à la résistance, sous toutes ses formes, un appel à la Vie et à la survivance par la Poésie. L'auteur n'a-t-il pas écrit dans un poème intitulé la Mort, extrait de son recueil le silence la cécité :
«Sais-tu aujourd'hui gré à la pensée de la
mort de t'avoir libéré des théodicées
de jadis et naguère qui ne valent leur
pesant d'or que lorsque le jour est espoir seul
Enfin le soleil s'est couché sur ton tombeau»
Le verbe suit. Le style édulcore et les formes libres mènent le combat, elles le poursuivent dans la terre natale. Le personnage retrouve son «Pays», ou ce qu'il appelle son «Royaume», auquel il consacre la seconde partie du roman.
Le reste se passe en Tunisie, cette mère de toujours. Le Royaume est clairement ancré dans l'autobiographie. Il est l'apologie d'une nouvelle rencontre avec soi-même, d'une redécouverte identitaire. Les déchirements demeurent, les traces de l'Exil persistent, le quotidien pèse encore et pèsera toujours. L'ensemble se déroule pendant le mois du Ramadan 2009. Un mois extraordinaire pour une trouvaille extraordinaire. Tout fait désormais signe. Chaque geste évoqué, chaque souvenir relaté et chaque note rédigée traduisent cette volonté de prêter un pouvoir et un charme pour le moins particulier à tout ce qui porte la marque du pays. Et tout se transforme en symbole. Nul besoin de rappeler que l'exotisme ou la sublimation gratuite et naïve demeurent loin d'un roman dont le style s'avère assez personnel et fidèle aux différents émois du narrateur sans pour autant sombrer dans les excès d'un lyrisme exacerbé ou le laconisme nauséeux des adeptes d'un rachitisme littéraire abject. En effet, le souci stylistique et esthétique rappelle exactement ce que pensait Richard Millet, l'une des références de l'auteur, de l'acte d'écrire. Lisons ensemble un extrait de son essai l'Enfer du Roman: «Ecrire, aujourd'hui, c'est travailler à maintenir haute la conscience linguistique au sein d'une hostilité générale envers la langue. C'est aussi traquer les démons jusque dans les figures de style, les fautes de syntaxe, les abstractions morales du langage romanesque officiel». Dans le même ordre d'idée, Glorieux mensonge tient sa force et sa cohérence grâce à son style, érigé en expérience, et inlassablement échafaudé par ce long dialogue avec les philosophes-artistes. Citons, en guise d'exemple, La Boétie, Cioran, Philippe Jaccottet, Mallarmé, Bernard Noël, Beckett, Michel Onfray, Trotski, et des dizaines, et nous disons bien dizaines de figures interrogées, citées, critiquées, revendiquées comme influence et dont le trait commun reste malgré les divergences de stratégies, voire de finalités ce combat avec les mots... «On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre». Et Cioran cligne de l'œil. Tout comme l'auteur de Glorieux mensonge, qui constitue un témoin de son époque, la manifestation d'une vie minuscule pratiquée, avec tout l'art de la nuance, sur le mode flaubertien. Ce roman demeure un nouveau chapitre de ce «gai désespoir» auquel l'auteur souscrit depuis des années et en vue duquel le lecteur est appelé à goûter ce pur plaisir d'exister.


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