Face à la crainte de l'unilinguisme que nous promettent certains, l'ouverture sur les langues étrangères est une garantie supplémentaire pour préserver nos jeunes contre le renfermement sur soi et l'extrémisme rampant qui frappe à nos portes. Les décisions d'arabisation prônées par des parties données ne laissent aucun doute sur leurs intentions de créer une société tunisienne fermée à toutes les influences extérieures et à tous les courants progressistes. Ce n'est, donc, qu'à travers l'école qu'il sera possible d'endiguer tout obscurantisme d'où qu'il vienne. Les opposants à cette orientation d'ouverture le savent pertinemment, et ce n'est pas par hasard qu'ils ne laissent passer aucune occasion pour contrecarrer les projets visant à améliorer les méthodes de travail et d'approche dans le système scolaire et éducatif, en général. C'est pourquoi il est important de ne pas se laisser entraîner dans la facilité lorsqu'il s'agit de tels programmes d'une urgence indiscutable. Nombreuses défaillances chez les enseignants Certes, le statut de la langue française est particulier à plus d'un titre. Il y a, il est vrai, la portée historique. Mais il y a, aussi, cette proximité géographique dont découlent les intérêts économiques, culturels, politiques, scientifiques et autres. Quant à la langue anglaise, elle s'impose, de plus en plus, en raison de sa valeur au niveau international en tant que premier vecteur des sciences modernes et en tant qu'outil de communication à l'échelle mondiale. En ce qui concerne, effectivement, l'introduction de ces deux langues dans nos écoles, il faut que leur mise en place ne soit pas une simple mesure administrative. Car ce n'est pas une matière comme une autre. Pour la langue française, surtout, (mais c'est valable, aussi, pour l'anglais) il est utile de ne pas négliger l'aspect formation des enseignants. Le constat sur ce volet est, on ne peut plus, déroutant. S'il ne pose pas de sérieux problèmes pour l'enseignement de la langue anglaise, il n'en est pas moins vrai que c'est l'enseignement de la langue française qui est très préoccupant. Tout le monde a pu constater le très faible niveau de nos enseignants du primaire dans cette langue. Bien sûr, ce n'est pas, totalement, leur faute. Une grande part de ces dysfonctionnements est due à une formation inappropriée ou insuffisante. Aussi, est-il important de ne pas négliger ce côté fondamental lorsqu'il s'agira de désigner les enseignants qui seront chargés de dispenser ces cours. Des études poussées ont été menées depuis plusieurs années afin de déceler les carences dans l'apprentissage de la langue française à nos écoliers. De nombreuses défaillances ont été relevées auprès des enseignants. Le diagnostic était sans appel. Au début des années 2000, le ministère tunisien de l'Education et de la Formation de l'époque avait mené, avec le concours du Service de coopération et d'action culturelle (Scac) de l'ambassade de France, une évaluation externe de l'enseignement du français. Les cinq carences Les experts avaient, alors, dressé un tableau de bord fort instructif et ont mis l'accent, notamment, sur 5 points essentiels. En premier, on avait relevé cette hésitation entre différentes approches pédagogiques (par objectifs ou par compétences), les interactions ou oppositions des composantes linguistique, communicative, culturelle, etc. Le deuxième point où l'accent a été mis sur l'insuffisance de formation spécifique d'un nombre important d'enseignants en français expliquée, entre autres, par la situation d'insécurité linguistique, le sens de l'initiative limité, l'insuffisance d'imprégnation culturelle… Le troisième aspect concerne des pratiques présentant une certaine rigidité pédagogique dans le fonctionnement des classes, des conceptions souvent normatives de l'enseignement de la langue et une tendance à l'hypercorrection… Le quatrième point soulignait l'hétérogénéité du corps enseignant et la disparité des contextes socioculturels. En effet, un tiers au moins des enseignants, souvent de jeunes stagiaires, sont peu préparés au métier, exercent dans des conditions difficiles et reçoivent des élèves de milieu rural, socialement et culturellement très défavorisés. Cette situation, faut-il le rappeler, existait en 2000 ! Que dire, aujourd'hui, devant une aggravation liée aux nombreux suppléants ? Quant au cinquième point, il souligne l'absence d'un environnement francophone favorable aux activités parascolaires. Mobiliser les moyens technologiques Ce premier diagnostic avait donné naissance à un programme commun entre la partie tunisienne et la partie française. C'est le Programme de rénovation de l'enseignement du français dans le Système éducatif tunisien (Pref-SET). Il nous semble qu'il peut, toujours, servir de base de départ pour le projet envisagé par le ministère de l'Education. En somme, l'enseignement de ces deux langues étrangères à un âge aussi précoce doit être entouré de toutes les garanties nécessaires. Nos écoliers ne doivent pas avoir affaire à des enseignants qui, eux-mêmes, éprouvent des difficultés manifestes dans le maniement de cet outil linguistique. De plus, il n'est pas question, uniquement, d'un enseignant. Il faut, également, mobiliser les moyens technologiques adéquats et les utiliser de façon pertinente. Sans oublier la formation préalable et continue à laquelle doivent s'astreindre les personnes chargées de cette tâche. C'est, justement, ce que les experts avaient recommandé pour que ce projet réussisse et ne soit pas une simple expérience sans suivi. Pour commencer, il est nécessaire de renforcer la formation (culturelle, scientifique, pédagogique) des enseignants du primaire et du secondaire. Cela suppose de faire évoluer les pratiques pédagogiques des enseignants ciblés à partir d'une mise à jour en méthodologie et en pratiques de classe. But : permettre de donner à l'enseignant un éventail de possibilités, de soutenir sa motivation, de faciliter l'acquisition de nouvelles connaissances, et de diversifier et renouveler les pratiques de classe. Accompagnement et formation continue En outre, il faudrait, comme l'ont souligné les experts, opérer un accompagnement progressif des enseignants dans le domaine essentiel de la formation continue, associant une meilleure appropriation des usages du français, de la société et de la culture françaises, à des formations linguistiques et littéraires afin de favoriser des compétences plus opératoires en lecture et écriture de textes. Un deuxième grand objectif consiste à favoriser un meilleur environnement culturel francophone à destination des élèves (et des enseignants) en dehors de la classe. Pour ce faire, il faudrait renforcer les pratiques de lecture et de recherche personnelle par les élèves, dans des locaux appropriés (bibliothèques, centres documentaires et d'information), pourvus d'une plus grande variété d'œuvres mises à leur disposition, d'utilitaires en nombre suffisant, mais aussi d'œuvres de jeunesse, de romans contemporains d'auteurs francophones, de revues et de documents vidéo et multimédias. Les promoteurs du projet du démarrage de l'enseignement des deux langues dans nos écoles dès l'année prochaine ont-ils tout prévu ? Ont-ils préparé le terrain pour une bonne entame ?