En Tunisie, le nombre de jeunes sortant chaque année sans qualification du système éducatif est passé de 26.000 en 1985 à 57.000 en 1995 et à 100.000 en 2012. Le décrochage est une notion distincte de l'échec scolaire. Par définition, un décrocheur est tout jeune qui quitte un système de formation initiale sans avoir le niveau de qualification minimum requis par la loi. «C'est une succession de déliaisons, une absence d'articulation entre le dehors et le dedans, une désaffiliation... C'est la rupture du jeune avec le mythe de l'école comme instance éducative capable de le former et de l'aider à développer ses potentialités. C'est aussi la perte d'engagement, d'adhérence (sortie de route), de contact, de sens…», indique Frédérique Weixler, inspectrice générale de l'éducation nationale française et ancienne conseillère en charge de l'orientation, de la lutte contre le décrochage scolaire, rencontrée en marge de la 2e édition du Forum citoyen international de l'éducation, placé sur le thème « la gouvernance et qualité des systèmes éducatifs: enjeux, défis et perspectives», tenu récemment à Hammamet. Le décrochage, une fatalité ? D'après Weixler, en France, 250.000 jeunes sortaient sans diplômes en 1978. Ce chiffre a été révisé à la baisse, aujourd'hui, avec des non-diplômés qui sont moins nombreux (90.000), mais dont 60% sont au chômage. En Tunisie, le phénomène se serait au contraire, aggravé. En 1985, on enregistrait 26.000 jeunes sortant sans qualification du système éducatif. En une décennie, ce chiffre a été plus que doublé pour atteindre 57.000, contre 100.000 jeunes sortaient sans diplôme en 2012. «Face à ces chiffres alarmants, le décrochage scolaire, qui a un impact négatif sur l'estime de soi des élèves, constitue, aujourd'hui, un enjeu humain, un défi social et un coût économique majeur pour la Tunisie et pour plusieurs autres pays dans les quatre coins du monde car les jeunes en situation de décrochage présentent des risques importants de ne pas réussir leur insertion sociale et professionnelle», précise-t-elle. A cet égard, la lutte contre le décrochage scolaire, qui doit être l'une des priorités de nombreux pays, incarne la persévérance de tout le système éducatif et le refus de la fatalité ainsi que de la résignation. C'est un sujet qui nous concerne tous : parents, professeurs, pouvoirs publics au niveau national ou local, associations, entreprises... Pour mettre un terme à ce phénomène, Weixler affirme qu'il est indispensable d'avoir une dynamique de mobilisation collective pour créer les conditions d'amélioration de l'action publique au service des « usagers ». La lutte a besoin de continuité La lutte contre le décrochage exige, entre autres conditions, une volonté politique claire, des objectifs bien déterminés, des indicateurs, une autonomie… Il s'agit constamment de défendre l'esprit plus que la lettre et d'avoir une intelligence collective, une Co-opération, un copilotage, des responsabilités identifiées, une solidarité et une complémentarité (parents et autres acteurs). «C'est un combat de longue haleine qui nécessite la continuité, la souplesse ainsi que le déverrouillage réglementaires et un appui sur des expériences réussies… Aucun facteur ou contexte de vie n'est en lui-même un déterminant au décrochage. C'est la combinaison des éléments qui est significative. On est tous conscient de cette réalité et du fait qu'il n'existe pas de solutions miracles, mais adaptées. Cela passe par des alliances éducatives, l'école en partenariat avec les parents, les missions locales, les collectivités, les associations, la relation entre enseignants et élèves… », explique-t-elle. Pour conclure, Weixler affirme que l'accompagnement des parcours singuliers est une opportunité de transformations structurelles qui bénéficient à toute la communauté éducative. La lutte contre le décrochage nécessite également la constitution des espace-temps de liaison, de transition et de médiation de l'école, de renforcer le contrat social… Au fond, reconnaître la légitimité de la question du décrochage, c'est, d'une certaine manière, consacrer le droit de tous de bénéficier d'une formation secondaire complète. « Le maître mot dans ce sujet, c'est la prévention qui est un levier pour la politique éducative. Donc, on doit être tous mobilisés pour vaincre le décrochage car toute modification fait bouger l'ensemble quel que soit le point d'entrée et il n'y a pas de réussite facile ni d'échecs définitifs. Il faut faire ce qui dépend de nous avec une ardente patience», conclut-elle.