Par Pr Khalifa Chater La visite officielle du président russe Dmitri Medvedev en France (1er- 3 mars) marque un rapprochement spectaculaire entre les deux pays, susceptible d'introduire des adaptations de la carte géopolitique de l'ère post-guerre froide. Il serait erroné — puisque anachronique — d'évoquer le précédent de l'Alliance franco-russe, conclue en 1891, contre la Triple-Alliance et qui détermina les positions des puissances européennes, au cours de la Première Guerre mondiale. Nous n'en sommes pas là. Mais la fin de la guerre froide a maintenu la démarcation stratégique sinon idéologique entre l'Otan et la Russie, confortée par la mise sur pied de l'Union européenne, qui s'est élargie à l'Europe de l'Est, aux dépens de l'aire soviétique. La Russie ne fait pas partie de la nouvelle architecture de sécurité régissant l'Europe. D'autre part, la crise du Caucase (août 2008), redimensionnée par des négociations ultimes entre la Russie et la France, qui assurait la présidence de l'Union européenne, a rappelé le contentieux de la guerre froide. Nous pouvons cependant affirmer que la France et la Russie agissaient dans les marges de leurs systèmes d'alliance respectifs. Au-delà d'un développement de leurs relations bilatérales, dans le cadre de leurs prérogatives souveraines, la France et la Russie annoncent leur «partenariat stratégique». Fait inusité, leur coopération concerne, pour la première fois, l'acquisition d'un matériel militaire sophistiqué, qu'on n'a pas l'habitude d'échanger hors des alliances respectives. La France serait prête à remettre à Moscou un à quatre Mistral, bâtiments de projection et de commandement (BPC), qui servent notamment de porte-hélicoptères. Or, c'est la première fois depuis 1949 qu'un pays de l'Otan vend du matériel militaire lourd à la Russie. Avec ce type de navires militaires, Moscou acquerrait une capacité de transport plus importante et surtout plus rapide. Prenons la juste mesure de cette opération du grande portée symbolique et qui n'est pas de nature à rassurer les Etats voisins de la Russie, qui ont changé d'alliances. Les défenseurs de cette vente l'expliquent plutôt par des raisons économiques, pour faire face à une industrie en crise et permettre de faire travailler les chantiers navals de Saint-Nazaire. Certains parlent d'une «amitié franco-russe célébrée par des ventes militaires». Du point de vue de la Russie, qui comptait exclusivement sur son matériel militaire, il s'agit également d'une innovation. La concertation franco-russe annonce qu'on ouvre une nouvelle ère de coopération, transgressant certaines lignes rouges de la géopolitique. Le Président Dmitri Medvedev a déclaré qu'il n'y a plus de «frontière idéologique en Europe». Nicolas Sarkozy confirme et déclare que la Russie n'est plus un adversaire et qu'elle doit faire face à l'ennemi commun, le terrorisme. La création d'un nouvel axe Paris-Moscou est à l'ordre du jour. Bien entendu, vu les relations privilégiées entre la France et l'Allemagne, cet axe serait appelé à inclure Berlin. Du point de vue russe, la proximité avec l'Allemagne est un important point d'ancrage en Europe et son lien avec la France, un moyen de contrebalancer son isolement international. De fait, le voyage du Président russe réactualiserait le projet du triptyque proposé par Jacques Chirac en 2003. Dans le cadre de cette volonté de coopération et de cette proposition d'arrimer la Russie à l'Europe, Nicolas Sarkozy lui recommande de soutenir les initiatives françaises en faveur du traitement de la question palestinienne et surtout de s'aligner sur l'Occident, pour voter les sanctions contre l'Iran. Notons cependant que les positions du Président russe Dmitri Medvedev, explicitées lors de la conférence de presse commune (1er mars), semblent nuancées, conditionnant le choix des sanctions. Une certaine gêne semble attester que le revirement de la politique russe n'est pas formellement revendiquée. La Russie semble préférer se référer à l'architecture internationale de sécurité, à la lutte contre le réchauffement climatique, au développement du G20 et du G9. La proposition française favorable à la suppression des visas, pour l'entrée des Russes en Europe, semble, par contre, annoncer une volonté de changement de perspective de la France. Les observateurs méditerranéens constatent que l'Union pour la Méditerranée ne s'est pas accompagnée par une volonté similaire d'ouverture de la circulation des personnes. Est-ce que ce traitement de faveur en faveur de la Russie relève d'une attitude conjoncturelle ou d'une volonté de recentrage? Peut-on tout simplement dire que la France s'inscrit dans une application stricte de la politique de voisinage de l'Union européenne.