«Quelle rigueur et quelle créativité dans la manière dont vous avez présenté le classique alepin», félicitait Nabiha Karaouli Hamam Khaïri, au terme du concert qu'il a donné en début de semaine, au Théâtre municipal de Tunis, dans le cadre des premières Journées musicales de Carthage. Elle n'a pas manqué non plus de relever la dimension savante et étudiée réservée à l'improvisation et aux «libertés» que se sont permises autant les instrumentistes que le chanteur. Notre cantatrice a résumé, ce faisant, l'un des meilleurs spectacles offerts, jusque-là, par le festival. Avec un takht réduit à sept musiciens et à deux choristes, le Syrien nous a régalés avec un programme de haute facture, où il n'y avait pas de place aux fioritures, au surplein de sonorités, ni aux petites «tricheries» derrière lesquelles se cachent bon nombre de voix, notamment parmi celles qui nous viennent d'Orient. En effet, il n'y avait ni batterie ni clavier, encore moins de guitare électrique ou chorale fournie, dont le «bruit» permet souvent de couvrir les défauts de l'interprétation et les limites de la voix. Loin de là… Tout était épuré : les notes et les mélodies nous parvenaient claires, nettes, comme coulant de source. La darbouka et le tar, seules percussions, n'étaient là que pour donner la mesure. Leur discrétion a relevé le qanoun, le nay, les deux violons et surtout le luth, manié avec dextérité par un grand virtuose qui a pour nom Bachar Al Hassan et dont Nacir Shamma, présent et extasié, nous a dit énormément de bien, puisqu'il l'a invité à diriger des sessions dans le cadre de l'atelier de luth dont il a la charge à l'Opéra du Caire. Doigté, rigueur et légèreté ont caractérisé son exécution, notamment dans les solos qui lui ont été réservés. Le public a mieux qu'apprécié, ses applaudissements nourris le prouvaient. Hamam Khaïri, sobre, maître de son art, nous a transportés dans un monde fait de tarab pur et d'une envergure digne des plus grands. Le successeur désigné et reconnu de Mohamed Khaïri, Sabri El Moudallal, Sabah Fakhri… les dépositaires du patrimoine de la prestigieuse école d'Alep, a même fait mieux que ses aînés. Ne se contentant pas de reprendre tels quels des dawr, des qodoud et des mouwachahat du grand cru syrien, il les a parés, soit d'arrangements inédits, soit d'ajouts fort réussis de sa composition. Quant à ses chansons propres, elles sont venues mélodieuses, parfois d'une exceptionnelle beauté, s'insérant toujours dans une approche respectueuse du genre tarabi, travaillé, classique avec une touche de modernité qui donne la possibilité à l'interprète de démontrer ce qu'il a réellement dans la voix et dans le coffre. Et Hamam Khaïri en a à revendre. Se baladant allègrement entre les différents modes, en grave comme en aigu, il a improvisé et ornementé à volonté, suscitant une véritable extase chez son auditoire, pour une fois unanime quant à la beauté de la voix, à sa force et au talent, frôlant l'insolence, de Khaïri. Ce dernier, grisé par l'accueil et par le répondant, voire la communion, qu'il a provoquée auprès de l'assistance, est allé jusqu'à la gratifier d'une suite de mawawil, sans micro. Du délire… Il n'allait, par ailleurs, pas manquer de mettre une autre cerise sur le gâteau en chantant un poème de Aboul Kacem Chebbi, Araki fa tahlou ilaya el hayat (je te regarde et la vie me devient belle), composé par ses soins. Un concert qu'on n'oubliera pas de sitôt.