Aïcha Filali avait déjà commencé à faire circuler ces photos des différentes écritures publicitaires, qui jalonnent les murs et les enseignes de la ville de Tunis, il y a plus d'une année sur Facebook. L'accueil très favorable de son réseau d'amis l'a probablement incitée à aller plus loin dans ce travail, à l'approfondir et à trouver le support qui pouvait le rapprocher du public d'une galerie. «Plaques et propos» (Elkolhom blayek) est depuis le 16 décembre dernier présenté à la galerie Ammar-Farhat à Sidi Bou Saïd. L'impression sur tôle donne aux photos de l'artiste une profondeur insoupçonnée. Aïcha Filali y ressuscite une tranche du contexte matériel et sociologique et de l'univers d'origine de ces plaques, des enseignes en fer, des portes de garages, des baraques à tout vendre, des véhicules de commerçants où s'expriment toute la débrouillardise, la vivacité humoristique et l'esprit de «marketing» des populations vivant dans les médinas et les quartiers populaires. On n'arrête pas de sourire en parcourant cette série de photos agrandies, un brin retouchées par l'artiste sur l'outil informatique pour les saturer d'un surplus de couleurs et de lumières et appuyer encore plus la dimension kitsch qui s'en dégage. On y vante les saveurs d'un pain mlaoui, d'un kaftagi tunisien, les talents d'un réparateur de pneus ou d'un voyeur-magicien. Et l'on s'interroge sur le rapport que la Joconde entretient avec le vendeur de méchoui qui a adopté cette icône pour encenser son produit ! Et ce cordonnier qui a choisi pour emblème et fanion une soubrette au décolleté profond ? A côté du «Boucher de l'espoir», une autre photo capte une inscription écrite dans un français à faire retourner plusieurs fois Voltaire dans sa tombe, «A Loyer. Tout Commers»…Ecrites à la craie, au feutre ou avec un bout de charbon, toutes ces inscriptions portent parfois un destin éphémère. Ce qui les rend encore plus touchantes… Aïcha Filali, qui ne finit pas de nous étonner par l'étendue de son univers créatif, semble, comme les prestidigitateurs de talent, avoir toujours plus d'un tour dans son sac. L'esthétique directe, mi-naïve, mi-brutale, du Pop'Art et son esprit critique quant à la culture de masse et à la société de consommation dans lesquelles nous vivons depuis les années 50, l'inspirent apparemment. Pour prolonger l'impression de plaisir que nous laisse cette exposition, il faudrait lire également le petit ouvrage illustré par les photos de «Plaques et propos», qui l'accompagne. Le texte de Elkolhom blayek est signé par la sœur et complice de Aïcha, l'écrivain Azza Filali.