«Cinéma et télévision, la complexité d'un destin partagé», tel a été le thème du colloque organisé le week-end dernier à Sayada, dans le cadre de la première édition des Rencontres audiovisuelles Tahar-Cheriâa. Ces rencontres, dont le coup d'envoi a été donné le 5 janvier, ont proposé aux habitants de la région des projections de longs métrages tunisiens, précédées par un premier documentaire intitulé «Fatma, l'aurésienne de Dakar», écrit par Tahar Cheriâa, et un deuxième, signé Naceur Ktari, et qui traite de la vie de celui qui a toujours été considéré comme le père du cinéma tunisien. Les universitaires, les cinéastes, les critiques et les cadres de la région sont venus nombreux pour prendre part au colloque qui s'est déroulé à l'espace Royal Bayache, situé sur la route de la plage. Malgré le beau temps, il pleuvait dans leur cœur, et ils semblaient tous déterminés à penser à voix haute… Les propos des intervenants ont démontré qu'il n'est plus de bon ton de mépriser la télévision. L'ambition de la « boîte noire » de s'adresser au plus grand nombre devrait être utilisée à des fins plus efficaces. Des images de guerre à la guerre de l'image A l'heure du câble et du satellite et des nouveaux moyens de communication, notre télévision devrait pouvoir et savoir prendre sa place, ainsi que jouer son rôle de miroir de la société. Par le caractère intimiste de l'objet lui-même, la télévision rentre dans la vie des gens, au sein même de leur quotidien et de leur environnement familier. Son contenu et son langage se développent donc largement autour de la proximité, y compris dans notre besoin vital d'évasion. Trêve d'hésitations, donc, si hésitations il y a. Il est grand temps de s'armer de ses propres images pour prendre part à la guerre de l'image. Trêve d'isolement, aussi. Les fabricants de l'image du petit ou du grand écran sont appelés à se rencontrer au lieu de s'éviter pour créer une réelle industrie audiovisuelle créative et pourvoyeuse d'emplois. «Pour cela, il est urgent de taire cette guerre non déclarée entre les deux secteurs : le cinéma et la télévision», a déclaré Néjib Ayed, producteur, participant au colloque. « Des images de guerre à la guerre de l'image, nous n'avons qu'un seul choix : unifier les deux secteurs», a suggéré Wassim Korbi, universitaire, dans son intervention intitulée «approches sur le relationnel du cinéma et de la télévision : l'interrogation identitaire et les paris de l'expérimental». Ces deux médias de masse sauront, ensemble, créer un paysage audiovisuel créatif et vecteur de culture et d'information. «Mais pour atteindre cet objectif, ne faut-il pas mettre les deux secteurs sous une même tutelle, à l'instar de ce qui se fait sous d'autres cieux,notamment ceux de nos voisins les Marocains ?», s'est demandé N. Ayed. Mais il est évident que cela dépend d'une décision politique. Cinéma et télévision ne s'épousent-ils pas? Ces propos ont été, par la suite, appuyés par Abdellatif Ben Ammar, cinéaste, qui pense que les gens du cinéma ont été séparés de ceux de la télévision. Ces derniers travaillent, pourtant, avec le même outil et sont sensés œuvrer pour le même objectif. «Ce n'est pas vrai que l'écriture pour la télévision diffère de celle destinéé au cinéma», a-t-il ajouté. Pour le petit écran aussi bien que pour le grand écran, on peut écrire des histoires vraies ou des histoires tout court, ainsi que des documentaires, ces fenêtres sur le monde…Ceux qui ont su profiter de l'esthétique du cinéma pour faire de leur télévision un espace de création et d'écriture, ont réussi à fabriquer une image qui communique et qui immortalise leurs visions du monde. Et Abdellatif Ben Ammar de conclure : «Mais ne croyez surtout pas que la culture peut être innocente. S'il y a toujours moins de salles, moins de possibilités pour nous, cinéastes, de produire, nous serons obligés de produire pour l'autre qui nous dictera son image». La télévision alternative «Mais quelle télévision voulons-nous?» s'est demandé Ezzeddine Amri, directeur de la Radio culturelle. Dans le monde, les modèles sont multiples. Il y a même des télés à qui la souffrance des gens ne suffit pas, il leur en faut encore le spectacle. Elles se plaisent à vendre des « larmes » pour remplir leurs caisses. Elles n'hésitent pas à braver la morale pour davantage de publicité. Cessons pour l'instant de parler de ce que devrait être notre télévision pour parler de ce qu'elle est déjà. Comment faire pour éviter ce souci de l'audimat qui peut détourner une télévision de sa mission initiale ? Faut-il d'abord identifier les objectifs ? Clarifier l'étique ? Un simple charlatan qui apparaît sur le petit écran est capable de détruire tout un projet de modernité… Un pseudo-critique, peut induire en erreur un spectateur non averti… Les médias sont, en effet, responsables du projet culturel national. «Nous avons besoin d'un média qui communique et d'une manière constructive, nos propos culturels, scientifiques, artistiques et pourquoi pas, sportifs… », a-t-on remarqué. Mais pour créer une télévision alternative qui réponde aux besoins réels du spectateur, ne faut-il pas, de l'autre côté, préparer le récepteur et lui apprendre à décoder l'image, pour ne pas se laisser influencer par d'autres messages sournois, rétrogrades ou même salafistes? Nous y reviendrons.