Depuis que j'ai commencé à écrire dans/pour la presse paroles de jeunes, j'ai tenu un cahier dans lequel je collais mes articles; non par égocentrisme mais par souci de sauvegarder une trace de mes écrits et voir leur évolution au fil du temps. Etant amatrice et sans formation académique en journalisme, il m'était essentiel de relire mes papiers, avec recul, afin de les réévaluer. Ce cahier, je ne le regardais plus qu'avec nostalgie, depuis que j'ai perdu toute envie d'écrire. Car écrire pour remâcher des banalités ne me satisfaisait pas. Pour moi, qui faisais du journalisme un hobby et non un métier, le plaisir d'écrire était un leitmotiv, une condition sine qua non. Dès qu'on me l'a confisqué, j'ai renoncé à tremper ma plume. Les jours ont passé et j'ai fini par ne plus regarder ce cahier du tout.J'avais (ou cru avoir) tourné la page. C'était, en réalité, pour ne pas raviver la douleur que cause une ambition avortée lorsqu'on n'a que vingt ans. Aujourd'hui, alors que mon pays a brisé ses chaînes, je me suis dirigée, confuse et émue, vers ce cahier, témoin de ma passion et d'autres tournants dans ma vie que je passerai sous silence. Les bouts de papier y ont surgi comme d'une ville boîte en ébène où l'on sauvegarderait secrètement les lettres d'un vieil amant. Au-dessus de plusieurs articles, une phrase inscrite de ma main «cet article a été mutilé, voir l'original à la suite». C'était pour moi la seule façon de rendre un sens à ces écrits dont le contenu a été, à maintes reprises, déformé, à mon insu et au mépris, parfois, des règles grammaticales. Mutilés, eussent-ils porté sur la relation compliquée qu'entretiennent la jeune génération d'immigrés avec leur patrie, sur le faible niveau culturel des jeunes générations, sur la triche aux examens et même sur la biographie du romancier algérien Yasmina Khadra (il ne fallait surtout pas écrire que son âme d'écrivain avait souffert du carcan de l'armée algérienne)!! Tout et n'importe quoi étaient prétexte à la censure. La paranoïa atteignait son paroxysme, annulant tout bon sens et invitant la foudre de la médiocrité à s'abattre sur notre supplément. Les masques étaient tombés des visages de ceux qui se disaient vouloir faire parvenir la voix des jeunes à travers un supplément hebdomadaire qui leur était dédié. Ce fut clair que ce n'était que manipulation et mauvaise foi. La frustration et le dégoût avaient trouvé leur chemin à nos âmes. Nos jeunes plumes ambitieuses et déterminées étaient devenues fébriles et mal portantes à l'image, sans doute, de tous les médias tunisiens. On me reprocherait sûrement de parler de moi ou de mes amis en ces temps où l'on ne parle que de la nation. Mais qu'est-ce la nation, sinon la somme des parcours de ceux qui la constituent ? Le destin d'un jeune marchand de légumes n'a-t-il pas extraordinairement fusionné avec le destin d'un peuple pour faire naître une révolution libératrice, comme jamais le XXIe siècle n'en a connu jusque-là? Si l'on veut répondre, enfin, à l'appel de nos lecteurs pour présenter un journalisme de qualité, il est essentiel pour nous, que l'on soit journalistes professionnels ou amoureux des lettres, de ne pas se soustraire à l'auto-psychanalyse, d'exorciser nos frustrations pour renaître de nouveau. Aujourd'hui, en fermant ce cahier, je peux espérer qu'une page sombre du journalisme se ferme définitivement dans mon pays ; avec une promesse, celle de toujours tremper nos plumes dans la vie. On me demande aujourd'hui un article que j'ai écrit à la veille de la tenue du congrès de l'organisation de la femme arabe et que la direction a jugé "inopportun" à l'époque. Bonne lecture