Lorsque la littérature, lorsque l'écriture littéraire vous collent à la peau ; lorsque l'envie d'écrire vous démange comme un prurit vital, il est inutile de vouloir s'en défaire. Il ne tient même pas à vous d'y renoncer. Vous avez beau prétendre que votre décision est prise, qu'elle est irrévocable, que plus rien ne vous inspire, qu'un haut-le-cœur existentiel préside à votre renoncement et vous y condamne, une tentation plus forte vous ramène à la plume, à votre bureau, à vos feuilles blanches et donc à la littérature. Dans son dernier roman, « D'écrire j'arrête », Alain Nadaud s'interroge à nouveau sur le métier d'écrivain, l'acte d'écrire, la vocation littéraire et sur l'engagement littéraire, au sens où s'engager c'est honorer un contrat, respecter un devoir, être digne d'une vertu. Les personnages de ce récit se démènent en réalité au milieu d'un tourbillon d'interrogations suscitées par l'écrivain renonciateur résolu à « en finir » avec l'écriture ! Mesquine présomption qui pourtant le réconcilie avec lui-même et avec ce qui donne sens à son être : écrire ! Le monde abâtardi qui entoure l'écrivain, ses illusions perdues, son dégoût face à la laideur ambiante, le doute qui s'empare de lui quant à son rôle, à sa valeur, à son utilité, à l'utilité surtout de ce qu'il écrit, tout cela va finir par constituer la matière d'une fiction, et par enfanter un livre. Flaubert, bien avant Nadaud, avait écrit sur « rien » ; de la médiocrité de son monde, il a donné forme et vie à des œuvres et à des héros universels. Ses continuateurs ont à leur tour administré la preuve qu'à partir du laid peut naître le Beau. Nadaud s'y attelle lui aussi. Une page dans l'histoire du Beau « D'écrire j'arrête » devrait nous rassurer, nous autres amateurs du grand art, sur l'avenir des Belles Lettres. Le récit d'Alain Nadaud invite peut-être à l'inquiétude ; il nous alarme même sur le sort réservé autour de nous aux belles choses ; mais il entretient l'espoir en chacun de ses lecteurs. Le bilan de santé que dresse son livre déplore un mal curable malgré tout ; pourvu qu'on ne s'évertue pas à le cacher, pourvu qu'on n'en ait pas honte, pourvu qu'on veuille l'éradiquer. C'est dans ce même esprit que le roman dénonce certains travers tunisiens ; décor exclusif de la fiction, notre cher pays y est perçu sous l'angle de ses imperfections humaines et culturelles. Alain Nadaud est loin de se complaire dans la représentation de nos lacunes et de nos défauts ; au contraire, il en souffre ! Son roman se présente comme une quête obstinée et surtout sincère de ce qui justement fait le pittoresque local. L'auteur voyage à travers l'espace et le temps tunisiens à la recherche d'une beauté profonde à préserver contre l'avachissement général. Il part en guerre, à la manière et avec la hargne d'un romantique de la première génération, contre tous les symboles de la bourgeoisie triomphante, contre le règne de l'argent, contre l'esprit mercantiliste qui, pour quelques dollars de plus, mutile tout, défigure tout, enlaidit tout. Dans « D'écrire j'arrête », Alain Nadaud ne lâche pas un aveu d'échec ; il marque comme une pause pour savoir repartir du bon pied. Si à la fin de l'histoire, l'écrivain se remet à noircir ses feuillets, c'est qu'il a une nouvelle page à inscrire dans l'histoire du Beau ! Alain Nadeau, parmi nous ! Alain Nadaud vit entre Paris et la banlieue nord de Tunis. Aujourd'hui, vendredi 10 décembre, la Médiathèque Charles de Gaulle de Tunis organise une rencontre-débat avec cet écrivain qui a écrit de nombreux ouvrages (récits, nouvelles, romans, théâtre, essais, traductions). Parmi ses meilleurs romans, nous citerons le premier en date, « Archéologie du zéro » (Denoël, 1984), « L'Iconoclaste », (Quai Voltaire, 1989, Prix de l'Union des éditeurs de langue française), « Le Livre des malédictions » (Grasset 1995, Grand Prix du roman de la Société des gens de lettres), « Auguste fulminant » (Grasset, 1997, Prix Méditerranée), « Le Vacillement du monde » (Actes Sud, 2006, Prix Bourgogne). En plus de « D'écrire j'arrête », il publie cette année « La Plage des Demoiselles » (Léo Scheer, 2010), roman séduisant dont nous rendrons compte dans un très prochain article. Badreddine BEN HENDA * Tarabuste éditeur, octobre 2010 (Collection In-Stance), 134 p.