Qu'est-ce Facebook, sinon un microcosme d'une grande place publique très animée, avec ses «murs», ses pokes, ses manifestations, ses slogans, ses écriteaux, ses discours, ses petits clins d'œil, ses bruits, ses rumeurs, ses peintres, ses guitaristes, ses mensonges, ses vérités…et ses flics ! Comme les Anglais ont leur Hyde Park. Comme les Belges ont leur Grand-Place. Comme les Français ont leur Montmartre, les Tunisiens ont eu leur Facebook. Leur grande place virtuelle. Faute d'espace vrai. Faute d'endroit réel. Facebook était leur terrain public pour exercer leurs libertés, eux qui n'avaient pas le droit de mettre le nez dehors pour dire quoi que ce soit. C'était leur rue, et on comprend aisément, d'ailleurs, pourquoi la Tunisie est le numéro deux mondial quant à l'utilisation de ce réseau social. Aujourd'hui, j'ai comme l'impression que l'Avenue Bourguiba commence à renaître de ses cendres, à prendre un peu la relève de Facebook qui a déjà très bien fait son boulot. Dans cette avenue, en effet, les gens manifestent, vont, viennent, parlent, discutent, s'expriment. Un jeune peintre a accroché, entre deux arbres, une toile que les passants regardent, complètent à petits coups de pinceau. Un caricaturiste a croqué Ben Ali et d'autres personnalités dont plus personne ne veut aujourd'hui. Des cercles de discussion se font et se défont çà et là. Les gens s'expriment, émettent l'avis et l'avis contraire. De temps en temps, une manifestation passe, parfois les éboueurs, tantôt les policiers, voire des étudiants. Les agents de l'ordre regardent, stupéfaits, ce beau monde bizarre venu d'ailleurs. Un char entouré de fils barbelés. Les soldats regardent et sourient quand on les prend en photo. Personne ne comprend rien. Mais qu'y a-t-il donc à comprendre, le pays est libre, un point c'est tout. Maintenant, il s'agit de renforcer cette présence dans l'Avenue Bourguiba. De l'entretenir. Il faut que toutes les musiques, tous les humours, toutes les réflexions qui se faisaient face à la webcam de Facebook se fassent en live dans la rue sur l'Avenue Bourguiba. Il faut que les guitares, les luths et les violons sortent. Il faut que les chevalets s' installent. Il faut que les talents s'y épanouissent. Il ne faut surtout pas que la municipalité s'occupe d'animer l'avenue, ni que le ministère de l'Intérieur n'ait à délivrer quelque autorisation. Ni ministère de la Culture, ni gouvernorat, ni délégation, ni mafias d'antan. Il faut laisser les gens s'exprimer librement dans la rue, à l'instar de ce qui se passe dans les grandes places des pays civilisés. Il faut, en deux mots, que la renaissance que nous avons vécue sur Facebook cesse d'être virtuelle et descende dans la rue. Il faut que le bon goût, l'art et la culture des Tunisiens se voient à l'Avenue Bourguiba. Avant, les visiteurs n'y voyaient que le ministère de l'Intérieur. Aujourd'hui, je sais qu'ils ont mille fois mieux à voir.