Amnesia, ou l'histoire d'un important homme politique qui apprend sa destitution le soir de l'anniversaire de sa fille. La pièce est prémonitoire. Elle raconte la chute d'un dictateur. Depuis la révolution tunisienne, la pièce a entamé une tournée en France. Elle a été présentée du 26 au 29 janvier à Bordeaux, le 4 février au Théâtre de Bonlieu à Annecy et sera donnée le 20 mai à Châteauvallon. Nous reprenons l'entretien que Fadhel Jaïbi a accordé à RFI, où il a surtout parlé de la révolution en Tunisie. Comment expliquez-vous la rapidité de la révolution ? Beaucoup d'observateurs et de Tunisiens étaient surpris par la rapidité, cela s'est fait en huit jours à peine. Les accumulations étaient telles que cela pouvait soit imploser soit exploser. Si cela n'avait pas été ces jours-là, cela aurait été plus tard. Personne ne pourrait prétendre avoir vu venir la révolution, mais c'était inexorable. Cela devait arriver un jour ou l'autre. C'était devenu intolérable. Est-ce qu'un pays, un peuple, peut changer si vite? En moins d'un mois ? Non, je ne le pense pas. Il va falloir nettoyer devant sa propre porte. Il va falloir regarder dans son miroir, modérer ses élans, petit à petit établir une liste de priorités raisonnables et possibles. Non, le pays n'aura pas changé miraculeusement. Il a éjecté Ben Ali et il l'a poussé à la porte. Les gens sont encore sous le coup de l'émotion et de l'enthousiasme du premier jour, mais je crois que, demain, les premières choses se présenteront avec des difficultés nouvelles. Qui a porté cette révolution ? C'est vraiment le peuple ? Je le crois profondément, parce que, sociologiquement, il est identifiable à Monsieur Tout-le-Monde. Les jeunes chômeurs, des gens qui ne sont pas tous instruits, qui n'ont pas tous le Bac, toutes catégories sociales confondues, mais c'était massivement la jeunesse laissée pour compte, marginalisée, des villages de l'intérieur. C'était une déferlante qu'on ne pouvait qu'accompagner. Cela dit, tout cela n'est pas tombé du ciel, mais a résulté de multiples accumulations. Nous avons énormément agi en amont. Nous, les artistes, mais aussi la société civile, une certaine opposition. Vous savez, cela vient du temps de Habib Bourguiba, cela vient au moins des années 70, cette résistance plus ou moins tolérée, plus ou moins opprimée. Il y a des gens qui ont payé de leur vie ce qu'on a vécu ces dernières semaines. Il ne faut jamais l'oublier. La pièce Amnesia est aussi une certaine manière de lutter contre l'amnésie. De dire que notre histoire, notre histoire collective et individuelle, a été confisquée par les deux pouvoirs qui se sont succédé depuis plus de 50 ans. C'est venu de loin, c'est venu en amont par tous ceux qui ont poussé à la révolte, à la résistance. En toute humilité, nous en sommes. Vous avez l'impression que vous avez préparé cette révolution ? Oui, de longue date. On n'a pas attendu Amnesia pour enfoncer un clou qui, pour nous, était indispensable. Dire haut et fort, braver la censure, braver la menace au quotidien dans nos spectacles. Nous étions les premiers exposés à la censure, à l'interdiction de nos spectacles. Nous avons tenu bon et on nous identifie quelque part à la conscience vive de ces jeunes révoltés. Vous avez échappé de peu à la censure avec Amnesia. En avril et mai 2010, vous avez présenté la pièce pendant deux mois en plein centre de Tunis. Comment était reçu le spectacle ? Formidablement bien. Les gens ont été très émus, bouleversés et surtout sidérés de voir sous le régime de Ben Ali une poignée d'artiste dire haut et fort ce que très peu de gens osaient dire.