Samedi 5 février, Menzel Bourguiba offre des images contrastées. Si les élèves rentrent tranquillement des cours, si les commerces sont ouverts et les militaires stationnés au rond point, les postes de police ont été les plus visés lors des derniers évènements. Leurs locaux incendiés, les policiers sont attroupés dans un jardin d'enfants transformé en une zone de sécurité. Un policier a proposé d'exploiter l'ancien siège de la municipalité au lieu de ce jardin d'enfants qui ne sied pas aux fonctions de sécurité. Les policiers disent aussi manquer de matériel. Ils sollicitent du ministère de l'Intérieur d'envoyer, dans les meilleurs délais, des moyens pour remplir leur tâche. Les policiers demandent également des effectifs pour chaque spécialité comme l'état civil, la surveillance du stade, la garde de la ville… "Les citoyens voient les mêmes personnes partout", affirme un policier ajoutant qu'un quartier de 72.000 habitants est surveillé par seulement quatre agents de l'ordre. Une campagne de recherche a été menée en vue d'arrêter les incendiaires et récupérer les armes. L'un des agents de sécurité a déploré les conditions de travail affirmant qu'il ne s'est pas reposé depuis des heures. Ils craignent d' être attaqués par des groupes armés, d'autant qu'ils effectuent des rondes nocturnes à pied. Ils collaborent étroitement avec les militaires qui disposent, eux, de leurs armes. "Après la révolution, une conciliation entre la police et les citoyens doit être faite", propose un policier. "Nous avons vécu durant 23 ans une situation particulière. Nous avons agi en fonction des instructions. Les conditions de travail avaient également eu un impact sur le comportement de certains agents. Maintenant, nous voulons ouvrir une nouvelle page sur la base du respect mutuel". Les lycées et les établissements scolaires sont également bien surveillés par les agents de l'ordre. Une vendeuse dans une boutique en plein centre ville estime qu'il n'y a plus de manifestants, ni de casseurs et la boutique reste ouverte jusqu'à 19 heures. Rares sont les commerces fermés comme celui des téléphones portables en ce samedi. Un peu plus loin, une pizzeria a repris du service. Son gérant estime que les troubles ont eu lieu surtout les 12 et 13 janvier puis la situation s'est calmée progressivement. Etant donné qu'il habite à Bizerte, il doit fermer à 17 heures. Certains "clochards" de la ville ou venant d'ailleurs sèment parfois le désordre, surtout la nuit. "Dans la confusion totale, les habitants ont incendié les postes de police et ont chassé les policiers dont certains ont abusé de leur pouvoir pour mener la vie dure à plusieurs jeunes", reprend notre interlocuteur. "C'est nous qui avons assuré la sécurité" Dans le café de la place, de nombreux jeunes, justement, ne semblent pas s'ennuyer de l'absence de la police. Ils sont tous d'accord pour que les agents de l'ordre qui sont là depuis des années à Menzel Bourguiba laissent la place à d'autres ayant "les mains propres". Mehdi Trabelsi estime que certains agents n'hésitent pas à accuser à tort des citoyens de vol, de consommation de drogue et d'autres délits. Ils les obligent à signer des aveux qui ne sont pas les leurs. Et au tribunal, ces jeunes sont souvent condamnés à des années de prison. Les policiers rencontrés nient ces accusations et estiment que les jeunes suspects avaient le droit de désigner un avocat et c'est à la justice de trancher. "Le raisonnement avancé par certains jeunes ne tient pas", estime un agent de l'ordre. " Quel est notre intérêt d'arrêter et de suspecter une personne sans raison ?". Les policiers demandent aussi à faciliter les mutations des agents qui en font la demande. Au sujet de la casse et des incendies, un jeune a affirmé que tout le monde avait participé à ces actes. C'est que les jeunes voulaient s'exprimer, se défouler. "Et c'est nous qui avions maintenu la sécurité quand les agents de l'ordre sont partis. Nous avons même nettoyé les rues… Ce ne sont pas les locaux incendiés qui comptent mais les effectifs affectés pour la sécurité de la ville, qui doivent respecter les citoyens et le traiter d'égal à égal". En tout cas, plusieurs jeunes disent avoir subi des injustices de la part des agents de l'ordre et demandent à les faire remplacer au plus vite. Pas de retraite, ni d'indemnité Le problème du chômage se pose avec acuité. Certains jeunes occupent des emplois précaires. Fouad Saidani, sous-traitant, a été renvoyé de la société El Fouledh : "une injustice", affirme-t-il. Lakhdar Sakkouhi travaille dans les chantiers depuis vingt ans. Sans retraite ni indemnité, il a à charge une femme handicapée et deux enfants au chômage. Mohamed Salah Ben Said a été emprisonné "injustement à cause d'un accident de la circulation", selon ses dires . " Menzel Bourguiba est l'une des trois régions considérées comme les plus instables par le ministère de l'Intérieur avec Gafsa et Kasserine. Elle est la quatrième zone industrielle et la troisième en matière de chômage. Pourtant, aucun intérêt des autorités publiques. Les ministres ou l'ancien Chef de l'Etat ne se sont pas empressés de la visiter", résume Fadhel Ben Brahim,. Tous ces problèmes d'ordre social ont poussé les jeunes à agir au lendemain des évènements de Sidi Bouzid. L'insécurité a régné et les traces de la colère des jeunes est encore visible dans les postes de police, la recette fiscale et certains locaux commerciaux.