Par Mounir TRABELSI * J'ai beau chercher, mais je n'ai pas trouvé meilleur terme pour expliquer le comportement des Tunisiens pendant ces 23 ans de dictature et je me refuse de penser, même pour un instant, que nous avons été «collabos», allusion au peuple français sous le gouvernement de Vichy. Oui, nous avons été tous naïfs et Ben Ali a bien profité de notre crédulité. Pourtant, Ben Ali n'a pas été un monstre politique et n'arrivait pas à la cheville de Bourguiba. C'est un homme sorti de l'ombre, sans bagages ni aura. Il était timide, distant, faussement hautain et loin d'être un homme séduisant. Alors pourquoi avons-nous accepté toute cette humiliation si longtemps ? Je pense que l'explication remonte aux circonstances de la prise du pouvoir le 7 novembre 1987. A cette époque, la Tunisie vivait, déjà depuis quelques années, des remous politiques. Les guerres intestines du palais pour la succession étaient ouvertes et la valse des nominations éphémères ne faisait qu'alimenter les rumeurs les plus folles. Bref, la Tunisie était dans une mauvaise passe et la population n'en voyait pas l'épilogue. Cette opacité de vision et l'absence d'un projet d'avenir ont fini par démoraliser plus d'un. Le changement du 7 novembre fut pour nous tous une vraie délivrance. Toutes tendances confondues, le peuple a applaudi Ben Ali et, hélas, nous lui avons signé un chèque en blanc. Oui, sur ce coup-là, nous avons été naïfs car nous avons omis un point important. Pourquoi la Tunisie était-elle arrivée au point d'attendre ce changement devenu si salutaire ? La présidence de Bourguiba à vie était une erreur monumentale. Sans cela, je pense que la Tunisie n'aurait jamais connu cette turbulence et peut-être que Ben Ali n'aurait jamais eu le pouvoir. Celui qui ne s'inspire pas de son histoire est appelé à la revivre. Notre naïveté et ensuite notre résignation ont été entretenues par l'absence de la société civile et par la dérive de tous nos médias. Notre jeune révolution populaire nous donne toutes les raisons d'espérer, mais nous n'avons plus le droit de refaire les mêmes erreurs. J'assiste aujourd'hui à une profusion médiatique. En effet, les affres de l'ancien régime ont le dos large et tout le monde s'en donne à cœur joie. Ben Ali et ses sbires sont taillés en pièces, mais tout ce qui se dit à ce propos n'est nullement rassurant et ne doit en aucun cas être pris pour un gage de liberté d'expression. La vraie liberté, c'est quand la critique s'adresse au gouvernement en place, à des ministres en exercice et à l'encontre de responsables véreux. La vraie information, c'est celle qui colle à l'événement en dénonçant les abus en cours. Je suis optimiste et je suis persuadé que cette fois-ci, cette même franchise sera encore présente et ce, quel que soit le pouvoir en place. Avant de finir, je voudrais lancer un appel à tous ces Tunisiens de cesser d'être encore naïfs, croyant que tous nos maux seront résolus par le seul renversement du régime de Ben Ali. Cessons de demander tout et n'importe quoi. Arrêtons cette anarchie où tout le monde se croit tout permis et qui, en fait, n'avantage que les opportunistes. Arrêtons le délabrement de notre paysage urbain, sous prétexte d'avoir un emploi. Arrêtons ce massacre écologique où nos campagnes et nos forêts sont défigurées par les parcours pastoraux et les braconniers. Un seul credo reste valable aujourd'hui, c'est de revenir au travail et de ne jamais accepter de se taire. Espérons que les Tunisiens ont aujourd'hui compris la leçon et qu'on ne pourra plus les taxer de naïfs. * (Maître de conférences, agrégé-Faculté de Médecine de Sousse)