Par M'hamed JAIBI A un moment où la jeunesse tunisienne se décide à prendre en charge l'avenir du pays et prend sur elle d'assumer son rôle historique dans la transformation démocratique des structures et institutions, dans le sens d'une République authentique au service de la souveraineté populaire, la noble mission des juristes, des politologues et des élites politiques et universitaires consiste en la mise à disposition du savoir académique et pratique accumulé à travers les expériences des peuples et des pays du monde entier. Malheureusement, cet apport de savoir académique et expérimental se trouve être souvent mixé à des préférences et choix personnels qui risquent d'altérer la pureté du message. Depuis le 14 janvier dernier, s'agissant du calendrier des réformes et des options possibles pour notre future Constitution, plusieurs juristes se sont exprimés ici et là, et notamment des constitutionnalistes. Cependant, rares sont ceux qui ont privilégié un exposé immaculé de la théorie telle qu'enseignée dans les facultés de droit et de sciences politiques. La plupart des juristes qui se sont exprimés publiquement ont eu tendance à faire un choix tranché aussi bien au niveau de la démarche à suivre que concernant la nature du régime «qu'il nous faudrait» en Tunisie ou du mode de scrutin «adéquat». En fait, la tendance majoritaire est allée d'emblée vers le rejet du régime dit présidentiel pour éviter une réédition de la déviation présidentialiste, en faveur d'un régime parlementaire qu'on a idéalisé et glorifié sans prendre la peine d'en fournir la définition académique. Il se trouve que les régimes parlementaire et présidentiel types ne sont pas du tout conformes à ce que l'opinion publique tunisienne croit avoir compris. Le régime parlementaire type est le système anglais, soit un régime de royauté constitutionnelle sans Constitution écrite où le président de la République n'est ni issu du Parlement ni contrôlé par lui, puisqu'il s'agit en fait d'un roi. Et le modèle du régime présidentiel est le système américain. Or, ce n'est pas un régime où le président fait ce qu'il veut, mais un système de parfaite séparation entre l'exécutif et le législatif où le président centralise l'exécutif et nomme le gouvernement, mais n'a aucun pouvoir sur le Parlement. Lequel Parlement fait les lois et n'a aucun pouvoir sur le président. Le régime parlementaire que beaucoup défendent aujourd'hui en Tunisie n'est pas un système où le Parlement a tous les pouvoirs mais où les rapports avec le pouvoir exécutif sont souples. Cela veut dire qu'il y a une interaction entre les deux pouvoirs qui reste à définir par les politiques et à trancher par le vote des citoyens (référendum populaire). Ainsi, il y a une infinité de régimes parlementaires possibles selon la forme de contrôle mutuel qui existe entre le Parlement et le président, entre le Parlement et le gouvernement et entre le président et le gouvernement, et puis selon le mode de scrutin : de listes (proportionnel ou majoritaire), uninominal (à un ou deux tours), mixte (mi-majoritaire mi-proportionnel ou potentiellement de listes, partiellement uninominal), etc. Tout cela pour dire que ceux — et ils sont de plus en plus nombreux — qui veulent voir la Tunisie adopter une nouvelle Constitution de type parlementaire n'ont pas du tout résolu le problème. Surtout s'ils ne savent pas que la plupart des académiciens définissent le système français comme étant «parlementaire», sachant — ce qui semble paradoxal — que certains ajoutent : «à tendance présidentialiste» (voir encyclopédie virtuelle Wikipédia). L'une des problématiques qui orientent la nature et les tendances d'un régime parlementaire donné, c'est la manière permettant de désigner le président de la République. Or, ce n'est pas parce que le régime est parlementaire que le président sera élu par le Parlement, comme semblent le laisser entendre certains juristes. Au contraire, dans 65% des régimes considérés comme parlementaires, le président est élu au suffrage universel. Enfin, les juristes, en général, et les constitutionnalistes, en particulier, sont en devoir d'attirer l'attention sur les faiblesses de certains régimes parlementaristes (excès de parlementarisme) dont ceux où le président est élu par les députés, surtout lorsque le Parlement est élu selon un mode de scrutin à la proportionnelle qui encourage la pulvérisation de la classe politique en tout petits partis. Un Parlement de ce type est souvent une mosaïque de tendances et de sensibilités incapables de se mettre d'accord sur un programme politique, encore moins sur la composition d'un gouvernement. Ce risque est réel, d'autant qu'on semble s'acheminer vers pas moins d'une cinquantaine de partis. Or, la Tunisie a besoin de stabilité. Ce qui nous invite à songer à un système politique qui assure un minimum de gouvernabilité. Le fait que l'on veuille éviter les erreurs et les catastrophes présidentialistes du passé ne nous autorise pas à ouvrir la voie à un système politique sans président ou presque, ni à un gouvernement instable comme cela s'est vu en Italie pendant longtemps ou en France durant la quatrième République. Car sans stabilité et sans quiétude, point de développement.