Par Skander LAHRIZI Directeur à Hayett, Compagnie d'assurance vie et de capitalisation Il est admis que la récente crise financière qui a ébranlé nombre d'économies s'explique par des insuffisances au niveau de la régulation et de la supervision du système financier. Le secteur des assurances n'échappe pas à la règle. Si l'on veut que ce secteur contribue comme il se doit au développement économique et social du pays, il est indispensable que l'autorité de contrôle remplisse parfaitement sa mission. L'objectif de la surveillance de l'assurance, étant de maintenir, dans l'intérêt national, des marchés d'assurance efficaces, équitables, sûrs et stables. Il faut savoir que l'une des caractéristiques de l'activité d'assurance est ce que l'on appelle l'inversion du cycle de production. Contrairement à l'industriel, lequel connaissant le prix de revient de sa production, fixe son prix de vente en conséquence, l'assureur est amené à arrêter d'abord son tarif, produire ensuite des contrats et prendre des engagements vis-à-vis des assurés. Il ne connaîtra le coût de sa production qu'a posteriori, une fois que les demandes d'indemnisation commenceront à lui parvenir. De ce fait, l'assureur peut être tenté de sous-estimer les risques afin de fixer les primes d'assurance à un niveau relativement bas, ce qui le placerait dans une position avantageuse dans le cadre d'un marché concurrentiel. Protéger les assurés contre les risques de défaillance par une réglementation prudentielle appropriée est ainsi un élément essentiel de la régulation du marché d'assurance. Justement, la réglementation tunisienne prévoit, au niveau du Code des assurances, que les entreprises d'assurances doivent disposer d'une marge de solvabilité minimum. Il s'agit essentiellement de protéger les assurés contre le risque d'insolvabilité de leurs assureurs en exigeant de ces derniers qu'ils se plient à diverses exigences qui portent notamment sur le niveau de fonds propres dont ils doivent disposer. Ces exigences relatives à la marge de solvabilité sont complétées, par des dispositions imposant aux assureurs de constituer des provisions techniques suffisantes eu égard à leurs engagements, compte tenu d'une évaluation raisonnable des risques. En outre, la réglementation spécifie la liste des actifs susceptibles de garantir ces engagements et les proportions dans lesquelles ces actifs peuvent être détenus. En fin de compte, les règles prudentielles, auxquelles doivent se plier les assureurs, reposent sur trois modalités étroitement complémentaires : une évaluation prudente de leurs engagements (provisions techniques), un contrôle des actifs admis en représentation de ces engagements et, enfin, des exigences de fonds propres suffisants (marge de solvabilité) afin d'amortir les conséquences, d'une sinistralité plus élevée que prévue , d'une dépréciation inattendue de certains actifs ou d'une défaillance de la gestion actif-passif. Faire appliquer strictement ces règles prudentielles, au niveau de notre marché des assurances est une question de la plus haute importance. Cela aura pour effet de limiter la concurrence déloyale en responsabilisant l'actionnariat et le management des entreprises d'assurance. Actuellement, des recapitalisations s'imposent et nombre de compagnies qui devraient s'imposer une inflexion en termes de politique générale tardent à mettre en œuvre les changements qui s'imposent. Au contraire, on assiste à une plus grande agressivité commerciale de ces compagnies, motivées par leurs besoins de liquidités et la faiblesse de leurs coûts de production (comprimés par leurs pratiques de sous-évaluation des provisions techniques). Cette pression à la baisse sur les prix (et à la hausse en termes d'étendue de garantie) se propage mécaniquement à l'ensemble du marché, tire vers le bas la situation financière de l'ensemble du secteur et affecte la qualité de sa croissance ainsi que son apport économique. Ce même besoin de liquidité et la sous-évaluation des engagements techniques induisent inévitablement un rallongement volontaire de la part de ces compagnies des délais d'indemnisation. Ainsi, et compte tenu de l'inversion du cycle de production, la dégradation de la qualité de service devient pour ces opérateurs un impératif économique. Il est indéniable que le secteur des assurances occupe une place importante dans l'économie nationale avec 2.243,374 millions de dinars de placements inscrits aux actifs des bilans à fin 2009. Or, ceci ne représente que 17% de l'épargne nationale. Quand on sait que dans certains pays développés, les provisions techniques d'assurance peuvent représenter plus que la moitié des actifs financiers des ménages, on imagine tout le potentiel que recèle ce secteur. Seul un assainissement permettra au marché de compter sur des entreprises respectant parfaitement les normes prudentielles, aptes à offrir une véritable sécurité financière à leur clientèle et à contribuer réellement au développement économique et social du pays.