«Nous sommes un groupe de facebookers portant le nom de majorité silencieuse, instigateurs de ce mouvement qui n'est dirigé contre aucune partie», nous susurrait Mme Souissi Nadia, la quarantaine, ingénieur de son état. Et d'ajouter : «Nous voulons exprimer notre voix, celle de la raison. Notre pays a besoin des efforts de tous ses enfants, sans exclusive, de l'apport de toutes les bonnes volontés pour le reconstruire et l'amener à bon port». Les cinq à six mille personnes présentes, hier, devant la coupole d'El Menzah, venues des quartiers voisins, mais aussi d'autres cités assez lointaines, Ibn Khaldoun, Daouar Hicher, Ettadhamen, ont scandé plusieurs slogans, appelant à «la construction de notre pays», des slogans sur des pancartes ou sur des banderoles, parfois sur des dossards appellent à la reprise du travail et des études. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, des enfants même qui accompagnaient leurs parents tel ce petit bout d'homme, Youssef, âgé de huit ans et quelques poussières, portant une pancarte sur laquelle est indiquée «Coupole et Kasbah, unis pour la Tunisie». «Je veux étudier et réussir, je suis contre l'anarchie et le chaos», nous a-t-il déclaré, en présence de sa mère, institutrice, et sa sœur, encore sans emploi. Au fur et à mesure que les minutes s'égrenaient, le nombre grossissait, avec la sortie du travail et des classes. Au milieu de la foule, un groupe de jeunes garçons et filles discutait à haute voix. «Nous revendiquons notre droit aux études», lançaient-ils. Ils sont étudiants dans une institution universitaire à la Charguia où l'arrêt des cours dure plus de trois semaines. «C'est un crime», ajoute l'un d'eux. «Il y a ceux parmi nous qui viennent de l'intérieur du pays, pour la plupart sans bourse et ayant épuisé leur droit au logement, que doit-on faire maintenant ?» et de répondre : «Reprendre les cours sans plus tarder et essayer de rattraper le retard pour être prêts pour les examens de fin d'année». A côté, une jeune fille diplômée de l'enseignement supérieur, suivant la discussion, n'a pas hésité à intervenir pour dire : «Déjà en plus de ces milliers de chômeurs, plusieurs autres sont venus grossir le nombre suite à la fermeture d'entreprises et d'usines, que va pouvoir faire le gouvernement face à cette situation ?». L'une de ces pancartes portait un slogan fort significatif : «Je t'aime ô peuple», cette fameuse phrase de Farhat Hached, le symbole du mouvement syndical national, devenue comme axiome pour l'ensemble des Tunisiens. «C'est une réponse à ceux qui, aujourd'hui, tentent d'engager la centrale syndicale sur le mauvais chemin», devait déclarer cette jeune femme qui brandissait la pancarte avec la photo de Farhat Hached. Et d'ajouter : «Nous ne sommes pas contre l'Ugtt, mais contre la pratique et le discours de certains de ses dirigeants qui veulent instrumentaliser la révolution du peuple pour des intérêts personnels, nous sommes contre son intrusion dans la vie politique». Exercer son droit à la parole, agir pour éviter que le pays ne soit paralysé par les arrêts de travail tel était le credo des participants qui exprimaient leur crainte d'une paralysie du pays. «Les personnes qui se sont rendues à la Kasbah de leur propre gré pour exprimer librement et pacifiquement leurs idées sont nos frères», lit-on sur une feuille distribuée à l'occasion pour indiquer la ligne de conduite à suivre par les participants. «Je suis Coupole et Kasbah et j'assume», déclarait ce cadre de la Sitep, Hamdi Gallouz, qui n'avait pas hésité à porter un dossard sur lequel on pouvait lire : «C'est vrai que la Tunisie a réussi à abolir la dictature, mais elle est en train de subir la doctrine de la rue». Il y avait des cadres de banques, et d'entreprises publiques et privées, des fonctions libérales, des enseignants, des étudiants, des chômeurs, des retraités, voire quelques sportifs, comme c'est le cas des jeunes rugbywomen qui, de retour de l'entraînement, n'avaient pas résisté à la tentation de tremper dans l'ambiance. «Nous voulons voir ce qui se passe et apporter par la même occasion notre soutien aux manifestants». Pas de badauds, ni d'écarts de langage, ni de heurts. Un rassemblement qui prouve, si besoin est, qu'on peut exprimer l'amour du pays d'une manière autre, dans le strict respect du droit à la différence. «La Tunisie est notre pays, nous l'aimons tous et la meilleure façon de lui exprimer notre fidélité c'est de reprendre le chemin de l'école et le travail». A la fin du rassemblement, les organisateurs ont lu un communiqué dans lequel ils se disent «ni de gauche ni de droite, ni contre une quelconque partie», se définissant comme «des citoyens démocrates et patriotes, œuvrant à la réalisation, aux côtés de nos concitoyens, des principes de la révolution qui sont la dignité, la liberté et la justice», appelant le gouvernement provisoire à «prendre ses responsabilités pour éviter l'enlisement et garantir la pérennité de l'Etat». Prenant rendez-vous pour les jours suivant et pour un ultime rassemblement qu'ils espèrent «grandiose», samedi prochain, à la même heure et au même lieu.