• La vigilance reste de mise Hier après-midi, la Place de la Kasbah était en liesse : les jeunes dansaient, chantaient à la gloire de la révolution tunisienne qui a pu, en quelques jours, opérer un changement en profondeur en chassant le président de la République, en mettant fin aux activités du parti au pouvoir (le Rassemblement constitutionnel démocratique), en dissociant le gouvernement de tout parti politique et, enfin, en changeant le Premier ministre. D'autres mesures sociales ont été annoncées au cours des derniers jours, mais les jeunes de la Kasbah venus de toutes les régions de Tunisie sont surtout satisfaits du discours du chef de l'Etat par intérim, M. Foued Mebazaâ, et du Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi. En fait, les demandes des jeunes sont satisfaites dans une large mesure avec l'annonce des élections de l'Assemblée constituante, l'élaboration d'une nouvelle Constitution, l'organisation dans les délais impartis d'élections présidentielles transparentes et libres avec le contrôle des représentants de la société civile et des organisations internationales. Les jeunes affirment qu'il s'agit là d'un départ dans le bon sens, mais du travail reste encore à faire au cours des prochains jours. La Place de la Kasbah commence à se vider des manifestants dont certains sont rentrés chez eux. Les tentes ne sont plus visibles, mais les chants patriotiques improvisés sont entonnés. Mourad, l'un des jeunes meneurs, estime que "les demandes sont globalement satisfaites, il ne reste plus que leur application. Mais d'autres attentes sont encore en suspens". Dissoudre la police politique En effet, les jeunes sont impatients de voir tous les corrompus, les hors-la-loi, les voleurs et les agresseurs jugés en public avec, si possible, une diffusion en direct ou en différé à la télévision. Même le président déchu et son épouse doivent être jugés en Tunisie. Les jeunes de la Kasbah sont bien informés de tous les évènements qui ont eu lieu récemment. Houssem voudrait en savoir plus sur la situation des snipers qui ont été arrêtés il y a quelque temps, à quel clan appartiennent-ils et quand seront-ils jugés‑? Le procès d'Ali Seriati, chef de la police présidentielle, est également très attendu. Les jeunes sont, par ailleurs, intéressés par les jugements de Imed Trabelsi, de Sakhr El Matri et, en général, des clans Ben Ali et Trabelsi. Kamel, un habitant de la Cité Ezzouhour, estime même que la vente illicite des boissons alcoolisées et de la drogue était autorisée avant la révolution, mais elle était faite en cachette et avec la protection de certains clans influents dont les actions visaient à nuire à notre jeunesse. Ces jeunes ont pourtant des demandes légitimes, à savoir un poste d'emploi après une période de stage, des centres professionnels bien équipés en matériel moderne, une subvention de stage respectable, un vrai équilibre régional, des commodités et des équipements collectifs dans tous les quartiers sans distinction… Les jeunes s'étonnent également du changement de position du secrétaire général de l'Union générale des travailleurs tunisiens avant et après la révolution et aimeraient savoir sur quoi a porté l'entrevue avec le président déchu quelque temps avant sa fuite. Plusieurs jeunes demandent également avec insistance la dissolution de la police politique qui était omniprésente et ne permettait pas de mener une vie politique libre. Les demandes politiques sont donc confondues avec les demandes sociales. Cette catégorie de la population veut tout à la fois et dans les meilleurs délais possibles. Car une grande partie de la population comme l'affirme Marzouk "vit au-dessous du seuil de pauvreté alors qu'une autre partie vit dans le confort". Selon lui, dans ce système capitaliste, les chefs d'entreprise devraient améliorer les salaires de leurs employés pour augmenter leur pouvoir d'achat et leur permettre ainsi d'acheter, ce qui contribue à dynamiser la vie économique et commerciale. Droits de l'Homme et libertés individuelles Les relations entre certains citoyens et la police doivent se baser désormais, dans cette ère nouvelle, sur la confiance. Car nombre de personnes ont des remarques voire des critiques à faire à propos de la police et ils citent des cas bien particuliers comme celui de K.C. dont le frère a été accusé à tort de détention et de distribution de drogue et a été kidnappé avant d'être jugé et emprisonné. Le comble, c'est que la police n'a pas saisi de drogue chez lui. Il demande à ce que son frère soit libéré pour retourner à son travail de chef boulanger. Message transmis à qui de droit. La confiance des citoyens vis-à-vis du gouvernement doit également être totale pour entamer, ensemble, la construction de la Tunisie dans tous les domaines sur des bases solides et dans le cadre d'une politique claire, transparente respectant les droits de l'Homme et les libertés individuelles. Aujourd'hui, les langues se sont déliées, tout le monde a quelque chose à dire, une remarque à faire, une proposition à formuler. Imed propose, par exemple, de transformer les anciennes cellules du RCD en des conseils de jeunes où ils pourraient s'y regrouper pour discuter et examiner leurs préoccupations. Il suggère également de ne pas vendre le patrimoine immobilier de l'ancien chef de l'Etat, mais de le mettre à la disposition de l'Etat pour l'exploiter pour les besoins de ses services.