La déclaration solennelle et responsable de M. Fouad Mebazaâ, Président par intérim de la République, et la conférence de presse de M. Béji Caïd Essebsi, chef du gouvernement transitoire, dans le plus pur style de communication bourguibiste, m'ont fait, et sans effets spéciaux, remonter le temps. Il y a plus de soixante ans, des jeunes, encadrés, il est vrai, par un parti populaire, le Néo-Destour, déterminés à arracher l'indépendance de leur pays, la Tunisie, ont payé de leur vie, fauchés par les balles de l'occupant. Leur détermination, leur don de soi, leur foi ont eu raison du colonialisme et de ses forces répressives. Et le 29 décembre 1955, en pleine période tant délicate de transition, de l'autonomie interne à l'Indépendance, fut créée l'Assemblée nationale constituante qui confectionna la Constitution de 1959 qui nous a gouvernés, tout en subissant un grand nombre de modifications et d'amendements nullement démocratiques, jusqu'au 3 mars dernier. Le 3 mars 2011, justement, pour répondre aux revendications légitimes de la vague qui, prenant sa source dans la Tunisie profonde, a déferlé sur le pays, tenant tête, cette fois, au régime tunisien d'oppression, défiant son chef et ses milices, M. Mebazaâ annonce la création d'une Assemblée nationale constituante et fixe son élection au 24 juillet prochain. Ainsi, après plus d'un mois, de ce jour historique du 14 janvier 2011, où un peuple unanime, toutes catégories et tranches d'âge confondues, mené par une jeunesse d'or non encadrée, a mis fin au despotisme et a poussé à la fuite le dictateur, la révolution est enfin reconnue, elle qui fut prise par beaucoup pour une simple révolte. Cette différence d'appréciation est, me semble-t-il, la cause des tergiversations qui ont émaillé cette période allant de la mi-janvier à presque fin février et qui ont failli emporter et la révolution et la Tunisie. L'histoire nous livrera, certainement et sous peu, les explications de certaines attitudes et de leurs plus ou moins profondes motivations. Au fond, peut-être qu'il fallait tout simplement un chef de gouvernement ayant la stature d'un homme d'Etat pour réussir, en coordination complète avec la présidence intérimaire, cette période transitoire. Ce qui me semble, aujourd'hui, chose faite, la volonté divine pour moi, le hasard pour d'autres, confiant à deux des militants pour l'Indépendance, l'écrasante responsabilité de la parachever par la concrétisation de la Démocratie. Ceux qui sont morts pour l'Indépendance et ceux qui les ont rejoints, pour la dignité, ces martyrs, chair de notre chair, n'aspiraient qu'à vivre, à pleinement vivre matériellement et spirituellement. La Démocratie peut leur baliser la voie, à condition qu'elle se fonde sur l'amour du travail, l'égalité, la justice, le respect de l'autre, de l'opinion divergente, la non-remise en cause de principes fondamentaux, tels que la durée du mandat présidentiel et les droits de la minorité. Autant de valeurs suprêmes qui doivent transcender les travaux de «la Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique». Cette commission devant, bien au-delà des calculs particuliers, des attitudes partisanes et politiciennes, œuvrer, en plein consensus, ou pour le moins avec le plus large consensus, pour l'intérêt général, pour la Tunisie et le devenir de ses enfants, de tous ses enfants, afin que la Démocratie à laquelle nous aspirons soit une Démocratie à la tunisienne. A.B.A. * Ancien ambassadeur - Professeur des relations internationales à l'ENA - Diplômé des études supérieures de droit public (faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris)