De Ben Guerdane, à Moncef Bey en passant par Sidi Boumendil, El Jem, Msaken et autres «centres commerciaux», c'est la crainte d'une brusque faillite d'un circuit «florissant»! Tant mieux, diront les industriels et les commerçants du secteur formel, victimes de la concurrence déloyale du circuit parallèle mais ce n'est pas la joie pour tous ceux qui vivent de ce commerce informel. Ce commerce était alimenté par des importations illégales qui passaient sous le nez de la Douane et des contrôles techniques. Des membres des deux familles étaient connus, à Tunis, comme à Sousse, sur les frontières avec la Libye et l'Algérie et dans les zones portuaires notamment, pour avoir fait de cette activité une source de gain facile, échappant à tout contrôle —certains diront qu'il s'agit de blanchiment d'argent— et devenant par conséquent une source de nuisance pour le commerce et l'industrie organisés. Après la chute du système mafieux, ces marchés commencent à traverser de grosses difficultés. Plus de 250 containers sont encore bloqués dans le seul port de Rades en raison des contrôles du change qui ont laissé apparaître un transfert illicite de devises. Cette immobilisation qui s'applique à plusieurs ports commerciaux ainsi que le blocage (momentané ?) de l'importation à partir de Chine ont contribué à tarir les approvisionnements, pas uniquement à Moncef Bey, mais aussi dans le marché d'El Jem, connu notamment pour ces importations de meubles ainsi que dans d'autres marchés comme celui de Ben Guerdane. Et ce n'est pas l'invasion des produits de contrefaçon sur les grandes artères du centre de Tunis qui prouvent le contraire. Cela n'est finalement que les derniers relents de ce grand trafic. Ports contournés Les commerces de prêt-à-porter de la région de Sousse avaient essayé, à la chute du régime de Ben Ali, de contourner les ports tunisiens et de détourner leurs cargaisons vers des ports libyens pour les réimporter ensuite par voie terrestre via les points frontaliers tuniso-libyens connus aussi pour être très perméables. Le début de la révolte libyenne et la fermeture des points frontaliers les ont empêchés de récupérer leurs biens. Pour le trafic commercial avec l'Algérie, commerçants et «transitaires» irréguliers attendent toujours de mener à terme leurs transactions. Des marchandises importées de pays asiatiques et autres transitaient par la Tunisie, allaient jusqu'à des points de stockage sur la frontière tuniso-algérienne, puis pénétraient frauduleusement en Algérie via notamment les réseaux Trabelsi qui "taxaient" toutes ces «transactions». Comme on le voit, des réseaux entiers de trafic sont en train de péricliter entraînant la chute de sources de revenus pour nombre de familles. Le malaise est perceptible et les premiers signes de contestation sont évidents. La première contestation a eu lieu le lundi 7 mars 2011 devant le siège de la Douane, où se sont rassemblés une cinquantaine de «ferrailleurs» pour demander l'autorisation de poursuivre l'importation de moteurs de voitures et de tous genres de pièces de rechange, florissant sous les BAT (Ben Ali et Trabelsi) et au nom desquels étaient importés les containers de cette «ferraille», le container valant 75 mille D. Ben Guerdane frappé de plein fouet Le grand malaise c'est aussi tout Ben Guerdane qui le vit. Maintenant que la frontière est fermée, près de 2.000 boutiques dans cette ville frontalière, chacune assurant le revenu d'environ quatre familles, sont en crise. Près d'un million de Tunisiens bénéficient directement ou indirectement du commerce réciproque avec la Libye. Le volume des échanges entre les deux pays s'établissait à 2 milliards de dinars en 2010. Jusqu'au soulèvement en Libye, plus de 10.000 Libyens et Tunisiens franchissaient chaque jour la frontière à Ras Jedir dans les deux sens. Les choses étaient si imbriquées que fin 2010, les Premiers ministres des deux pays avaient discuté d'une zone de libre-échange tuniso-libyenne entre Ben Guerdane et le poste de passage de Ras Jedir. Mais aujourd'hui, tous ces projets sont en suspens. Avec la fermeture des frontières, la région connaîtra une grave crise socioéconomique, notamment parce qu'il n'y a pas d'autres possibilités d'emploi à Ben Guerdane. Ben Guerdane et la région de Médenine souffrent d'un double choc : la perte de revenus pour les vendeurs sur le marché, et le chômage pour les nombreux Tunisiens qui ont fui la révolte civile. Un autre dossier délicat à régler par le gouvernement provisoire.