Par Abdelhamid GMATI Les enfants, particulièrement dans d'autres cultures, sont initiés et incités, tout petits, à accomplir leur Bonne Action. La B.A. quotidienne, adoptée aussi par les scouts, est devenue une sorte de tradition. Cela consiste à accomplir une action de bonne volonté, au service d'autrui, dans un esprit de charité, une façon de penser à autrui, de s'illustrer, de montrer son esprit d'entraide, de solidarité. Cela se fait de différentes façons, en aidant un camarade victime d'une chute, en assistant un handicapé ou un plus petit que soi ou tout simplement en ramassant un oisillon tombé de son nid. Bien entendu, la B.A. valait à son auteur des mots valorisants, des félicitations, voire des gratifications, friandises et autres. Les enfants se faisaient un plaisir et n'avaient de cesse d'accomplir leur B.A. quotidienne. Chez nous, depuis environ deux mois, c'est fou le nombre de personnes désireuses de nous gratifier de leur B.A. quotidienne. Il y a, d'abord, cette multitude qui s'est appropriée la Révolution, qui s'exprime et agit en son nom et qui veille à ce que les contre-révolutionnaires (réels ou fictifs) ne la détournent de ses objectifs. Des personnes hors normes qui s'arrogent le droit d'exiger, de contrôler le gouvernement, les Commissions et de tout ce qui se fait ou ne se fait pas, de se considérer comme les dépositaires de valeurs, des acquis ou des exigences de la Révolution. Chacun, chacune, s'est trouvé une âme de révolutionnaire; certains veulent protéger la révolution qu'ils n'ont même pas vu venir en essayant d'imposer un conseil doté de pouvoirs illimités ; d'autres ont créé (à ce jour) une cinquantaine de micro-partis dont la majorité ne pourrait pas remplir un bus avec leurs adhérents. Bien sûr, chacun cultive son jardin mais ils ne veulent que nous porter assistance. Leur B.A. Ils veulent veiller à ce que «le nouveau régime politique qui sera mis en place soit fidèle aux objectifs de la Révolution et qu'il réponde aux attentes du peuple tunisien à la liberté, à la démocratie, à l'égalité et à la justice». Certains privilégient déjà «le scrutin de listes à la proportionnelle», ce qui empêcherait «les potentats locaux issus du régime de Ben Ali de gagner les futures élections» (le RCD était-il si populaire ?). A peine légalisé après 25 ans de clandestinité, un parti de gauche a plaidé pour le report, au mois d'octobre, des élections prévues le 24 juillet prochain pour désigner une Assemblée constituante. Toujours pour notre bien. Le parti islamiste Ennahdha n'a pas arrêté de dire et de redire sa détermination à respecter intégralement les acquis de la nation en matière de statut personnel, de droits de l'Homme et de statut de l'Etat, à adhérer au principe de la séparation de la religion et de la politique, à lutter aux côtés des autres forces politiques contre tous les extrémismes et contre les mauvais usages de la religion et des institutions religieuses, etc. Faut-il y croire ? Encore une B.A. Une cinquantaine de manifestants, brandissant des drapeaux noirs, a pris place, il y a quelques jours, en plein centre-ville, sur l'avenue Bourguiba : ils protestaient contre la venue d'Hillary Clinton puis contre la visite du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Pour eux, toute visite ou contact avec les instances internationales est considéré comme une ingérence. Une autre B.A. Les «Ahrâr de Kasbah 3» nous ont informés qu'ils ont été agressés le 24 mars mais que cela ne les empêcha pas d'inviter la foule à venir participer à «une immense manifestation» dans quelques jours devant le Théâtre municipal, établissant le niveau de leur espérance à pas moins d'un million de manifestants: «Rendez-vous le vendredi 1er avril pour signifier votre adhésion à la continuité de ‘‘Kasbah 3'' à partir d'ici». Plusieurs associations, ici et à l'étranger multiplient les conférences et les débats autour de «Tunisie démocratique». Toutes sortes de personnalités tunisiennes et étrangères y sont conviées. Le monde du théâtre s'y met aussi de sa B.A. Les membres d'une troupe bien connue organisent une sorte de sit-in théâtral, trois jours et trois nuits durant. «Les comédiens garderont leur costume et leur maquillage de théâtre. Les lumières ne seront pas éteintes. Les jours seront éclairés. Les nuits ne connaîtront pas l'obscurité. 24h sur 24, les portes du Théâtre seront ouvertes... ». Il y a aussi un homme qui veut faire de la Tunisie la «Suisse du monde arabe». «Je suis le seul à pouvoir sauver durablement la Tunisie du chaos grâce à mon programme social, politique et économique. Je pourrais protéger la démocratie et la liberté à long terme». Toujours une B.A. On a même eu droit au braquage d'une banque, acte assez inhabituel sous nos cieux. Mais là il ne s'agit que d'une B.A. au profit de ses auteurs. En définitive, on ne peut pas dire que nous sommes privés de B.A. Mais il faudrait prendre garde, car derrière un nom commun, somme toute bienveillant, peut se cacher un nom propre, moins accommodant.