C'est avec une grande tristesse que nous avons appris, le week-end dernier, la disparition de Si Ahmed Djellouli, survenu dans sa quatre-vingt et unième année. Issu d'une famille illustre de la bourgeoisie tunisienne, dont plusieurs membres ont occupé des charges ministérielles importantes le siècle dernier, Si Ahmed Djellouli avait lui-même entamé dans les années cinquante une carrière administrative comme khalifa de Medjez El Bab et Béja. Personnage hors du commun et d'une élégance raffinée, il était une figure notoire de la vie publique et mondaine tunisoise. Il portait avec distinction le costume traditionnel, chéchia rouge écarlate et haute à la mode husseïnite, avec souvent un brin de fantaisie qui lui allait bien. C'était un homme attachant par ses connaissances, mais aussi par sa courtoisie et sa disponibilité, dégageant une sympathie qui s'affirmait au fil des relations. Il était disert et volubile même, lorsqu'il parlait de ses sujets préférés : l'histoire de la Tunisie du 18e au 20e siècle, période où il brillait par ses connaissances – le cheval et l'équitation avec ses diverses disciplines classiques et traditionnelles qu'il évoquait avec passion. Fin cavalier, il s'était dans sa jeunesse distingué dans plusieurs concours hippiques du temps de l'occupation française. Il prenait plaisir à montrer à ses visiteurs sa remarquable collection de selles et harnachements traditionnels qu'avait commencé à réunir son père Si Habib. Sa demeure familiale, dans la Médina, à la rue du Riche, était un petit «musée» avec une riche bibliothèque axée principalement sur l'histoire de la Tunisie, une collection de montres de valeur, des tenues officielles avec leurs décorations, des épées et des sabres d'apparat, des tableaux de peinture… Nous garderons un excellent souvenir de sa participation active à l'exposition tunisienne à Paris, à l'occasion du fameux Prix de Diane à Chantilly (en 2006), en fournissant plusieurs selles traditionnelles, qu'il a tenues à présenter lui-même aux nombreux visiteurs. Pour l'anecdote, il avait acquis au début des années soixante-dix un pur-sang anglais «Flamenco» et lors de sa première course à Kassar-Saïd, il avait ordonné au jockey (Majid Majeri) : «An nar, wala âar…» qu'on pourrait traduire par «la victoire à tout prix ou l'affront» ! Fort heureusement son ami et conseiller en la matière M. Bechir Ben M'rad a repris discrètement les ordres de Si Ahmed, en suggérant au jockey une tactique de course plus modérée et qui lui a réussi! Ce sont ses proches, en particulier ses neveux auxquels il était très attaché, qui connaîtront désormais le poids de l'extraordinaire nostalgie de la belle époque tunisoise de l'entre-guerre qui l'habitait. A toute sa famille et ses proches, nos sincères condoléances.