La rue tout entière est en deuil. D'un bout à l'autre, on a mis des cassettes de Coran, et les femmes, sur le pas de leur porte, acceptent les condoléances des passants. On a l'habitude de dire qu'un sage qui disparaît, c'est une bibliothèque qui brûle. Plus que pour tout autre, c'est vrai pour Si Ahmed Djellouli qui vient de nous quitter. Et la Médina tout entière porte le deuil de sa silhouette familière, de sa présence tutélaire, de son humour, de son attentive sollicitude à tous. Mais plus que tout, c'est une mémoire qui disparaît, celle de l'Histoire de Tunis, à laquelle sa famille fut étroitement mêlée. Nous tous qui avions la chance de l'écouter quelquefois raconter un haut fait, un grand moment, une anecdote, avec une précision d'historien, et le talent d'un conteur, nous lui demandions pourquoi il n'écrivait pas ses mémoires, prêts à lui servir de nègres pourvu qu'il accepte, il répondait qu'il avait choisi de le faire autrement : en ouvrant sa bibliothèque et ses inestimables archives à tout étudiant, chercheur, historien ou journaliste qui le sollicitait. Nul n'était plus généreux de son temps, de son savoir, acceptant volontiers de fouiller dans les "maqsouras" (sorte de petites pièces ou réduits) débordantes de livres, de manuscrits, de photos, pour trouver «le» document qui manque à telle thèse, «le» témoignage indispensable à telle étude. Si Ahmed Djellouli nous a quittés, mais sa bibliothèque n'a pas brûlé. La famille de lettrés et d'érudits qui est la sienne saura certainement préserver cet exceptionnel patrimoine national. Peut-être pourrait-on envisager de continuer à l'ouvrir au public selon la tradition de générosité et de partage du savoir qu'avait créé ce grand monsieur?