Son combat pour l'éducation de la jeune fille tunisienne a commencé très tôt, bien avant l'Indépendance et ne lui a pas laissé le temps de fonder une famille. Elle est cependant parvenue à fonder une immense famille de disciples dont certaines parmi elles sont devenues ses consœurs. C'est d'ailleurs pour cela que l'on a continué à l'appeler «Anissati» (mademoiselle) jusqu'à son décès survenu le 1er décembre 2006 après une vie remplie de militantisme. C'est que Zoubeïda Amira, première éducatrice tunisienne et première directrice tunisienne du Lycée de la rue du Pacha (1952-1974), la plus célèbre institution éducative pour jeunes filles tunisiennes musulmanes (fondée en 1900), s'est totalement dévouée à sa noble mission. C'est aussi elle qui a été l'initiatrice de l'association qui, à partir du 24 décembre 1984, réunit les anciennes de ce même lycée. Jouissant d'une immense estime auprès de ses confrères et consœurs, auprès de ses supérieurs, et auprès de ses élèves et leurs parents, Zoubeïda Amira incarnait la modernité de la femme tunisienne, ouverte au progrès mais fidèle à son authenticité. C'est en hommage à ce combat et à ces valeurs que le Pr Alia Baccar Bournaz publia un livre de quelque 200 pages sur la vie et l'œuvre de cette illustre «Dame de Dar El Bacha». L'auteure a également publié un article dans notre édition du 10 décembre 2006, soit quelques jours après le décès de sa «directrice», que nous reproduisons intégralement ci-après. F.A. L'itinéraire de Zobeïda Amira illustre à lui seul tout le chemin parcouru par la jeune Tunisienne du début du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, pour atteindre les hautes sphères du savoir et de la maturité. Elle est née le 26 avril 1917 dans la Médina de Tunis, à Souk El Blat, (rue Boussen), d'un père commerçant originaire de Béni-Khiar, Mouldi Amira, venu à Tunis pour poursuivre ses études à la Mosquée Ezzitouna, et d'une mère illettrée, Habiba Trabelsi, issue de la bourgeoisie tunisoise. Elle est la troisième d'une famille de quatre filles : Khira, Maherzia et Mongia. Grâce à la perspicacité et à la volonté de leur mère qui a tenu tête à la ferme opposition de son entourage, elles ont été scolarisées dès 1920. Zobeïda Amira est une des premières à avoir poursuivi ses études contre vents et marées. Elle entame sa formation en 1923 à l'Ecole primaire de filles musulmanes de la rue du Riche de Bent El Fakhri. Trois années plus tard, elle est acceptée à l'école de filles européennes de l'avenue Bab-Djedid où elle achèvera ses études primaires. Dès 1929, elle poursuit ses études secondaires au lycée Armand Fallières de la rue de Russie et obtient en 1933 le brevet élémentaire. Elle entre alors à l'Ecole normale d'institutrices qui se situait à la rue du Docteur Braquehaye à Montfleury supérieur (actuellement lycée Mohsen Ayari) et obtient en 1936 le brevet supérieur (équivalent du baccalauréat). Elle est alors affectée comme institutrice de langue française à l'Ecole primaire de filles musulmane de la rue Larbi Zarrouk à Sousse. Avec courage, elle accepte son poste malgré les problèmes inhérents à sa condition de jeune fille musulmane. En 1939, elle est nommée institutrice de langue française à l'école primaire de garçons de La Goulette. L'année suivante, elle est institutrice de langue française à l'école primaire de filles de l'avenue Bab-Djedid, tout en étant la seule fille à suivre des cours du soir de l'Ecole supérieure de langue et de littérature arabes à Souk El Attarine à Tunis. Elle obtient en 1942 le brevet d'arabe puis en 1945 le diplôme supérieur de langue et de littérature arabes. Ce cheminement est couronné en 1947 par la licence de langue et de littérature arabes de la faculté d'Alger et en 1948 par le certificat d'aptitude à l'enseignement de l'arabe dans les lycées et collèges, décerné par l'Ecole des langues orientales de Paris. Dès 1945 et jusqu'à 1952, elle est tour à tour nommée professeur d'arabe au collège Louise-Renée Millet, à la section sadikienne qu'elle crée en octobre 1945, puis directrice du collège Louise-Renée Millet dont elle propose le changement de l'appellation en 1956 en collège de jeunes filles de la rue du Pacha et demande en 1957 à ce qu'il soit définitivement baptisé Lycée de jeunes filles de la rue du Pacha. Elle l'a dirigé de main de maître pendant un quart de siècle jusqu'à l'âge de la retraite à 62 ans. Le nom de Zobeïda Amira est indissociable de cette institution qui a formé les futurs cadres de la Tunisie indépendante. Attentive, pédagogue, prévenante, généreuse, elle a su instaurer des relations franches avec professeurs, élèves et parents, le dialogue n'ayant jamais été interrompu entre eux. Célibataire, elle a élevé une petite fille de quatre ans, devenue institutrice à l'âge adulte. Sa piété, sage et éclairée, lui a fait accomplir les rites du pèlerinage de la Mecque et ne l'a pas empêchée pour autant de militer au Vestiaire national de l'Unft et à la cellule destourienne de Bir Lahjar. C'est ainsi qu'elle a représenté l'éducation nationale au Caire en 1957 (Ligue arabe), puis à Tlemcen en 1964 (Unesco) et l'Unft à Washington en 1962. Cet itinéraire exemplaire a été ponctué par de nombreuses décorations tout au long de sa carrière : du Nichan El Iftikhar (1954), des Palmes académiques (1956), de l'Ordre de la République Tunisienne (1964) et de la Médaille du travail (1978). Cette grande dame de l'éducation dans notre pays s'est éteinte le vendredi 1er décembre 2006 dans sa villa de Radès, entourée par l'affection des siens et de ses anciennes élèves qui n'ont jamais cessé de lui manifester leur émouvante fidélité. Les multiples générations de lycéennes qu'elle a formées et éduquées conserveront et vénéreront son souvenir.