Par Abdelhamid GMATI C'est bien beau de faire une révolution et de chasser un dictateur. C'est enthousiasmant d'annihiler un régime politique de voyous et d'ouvrir la porte à tous les espoirs d'une vie meilleure. C'est extraordinaire de briser toutes ses chaînes et de recouvrer toutes ses libertés. C'est tellement rare que ça vaut les compliments, l'admiration et le soutien du monde entier…presque le monde entier. Mais est-ce suffisant et est-on au bout de nos peines ? Bien sûr que non et ce qui nous attend est plus rude et plus difficile que ce qui a été accompli. Car nous n'avons pas d'expérience et tout est nouveau. Même ceux qui veulent s'ériger en dirigeants et en protecteurs de la Révolution sont des novices. Et ceux qui s'érigent en juges, en experts, en êtres supérieurs voire en émissaires de Dieu, ne nous veulent pas nécessairement du bien, ils ne poursuivent que leurs petits intérêts. Nous avons fait l'expérience de l'Indépendance mais pas celle de la liberté. C'est sûr que se sentir libre c'est-à-dire débarrassé de toutes chaînes est enthousiasmant. Mais la liberté a un défaut : elle est aussi responsabilité. La responsabilité de choisir à tout instant et dans tous les domaines, familiers ou étrangers. C'est un lourd fardeau quand on ne sait pas, quand on ne connaît pas les choix qui s'offrent à nous, quand on ne sait pas où mènent les divers chemins, les diverses options. Nous sommes libres mais nous ne savons pas ce que c'est qu'être libre et on ne sait pas se comporter avec cette liberté. Nous le constatons, plusieurs pensent que cela signifie « tout est permis». Et nous constatons les méfaits de cet état d'esprit, depuis le non-respect du code de la route, et des biens d'autrui, jusqu'à l'exigence d'éliminer les autres, ceux qui sont différents, ou qui sont suspects, ou qu'on qualifient de contre-révolutionnaires. On va même jusqu'à vouloir condamner son chef, son voisin, ceux qui pensent différemment, ceux qui vivent selon leurs choix. On vit donc au rythme des grèves, des doléances, des revendications, des manifestations, des sit-ins, des dénonciations voire des agressions et de la violence. A l'inverse, il y a ceux qui ont peur de leur liberté et manquent de confiance. Ils vivent dans l'incertitude. Pour eux rien n'est changé et attendent aujourd'hui, comme hier, qu'on décide pour eux. Ils veulent tout, en même temps et tout de suite. Et ils se tournent vers le gouvernement et l'Etat qui, comme hier, reste la providence. On se dit qu'on s'est débarrassé de la dictature et on affirme «plus jamais ça». Et on parle de démocratie, on y croit mais là aussi, nous n'avons pas d'expérience. C'est nouveau et on attend qu'on nous l'amène sur un plateau. On nous proposera un système et on n'aura qu'à aller voter, choisir ses représentants. On ne les connaît pas encore mais ça viendra. Si ça ne convient pas, on ira manifester. La démocratie, qui, si elle est appliquée convenablement, nous préservera de la dictature du genre que nous avons connu. Mais la démocratie, aussi merveilleuse et recherchée soit-elle, a aussi un défaut : c'est la dictature de la majorité. Cela veut dire qu'il faudra s'y plier et accepter le choix du plus grand nombre, qui, de leur côté, devront respecter les droits des minorités. Cela veut dire qu'il faudra apprendre à s'accepter, à dialoguer, à se familiariser avec l'art du compromis. La vie commune, pour être harmonieuse, et librement consentie, commande qu'on obéisse à certaines règles communes, à certaines lois garantissant les droits et les libertés de chacun et permettant l'épanouissement de tous et le développement du pays. Cela veut dire, entre autres, respecter les lois, le code de la route, payer sa vignette automobile et ses impôts. Chacun est appelé à penser et à agir pour soi et aussi pour le bien commun. En bref, il y a une autre révolution qui nous attend : celle des mentalités. Et elle commence par soi-même : combattre le dictateur qui sommeille en chacun d'entre nous. Apprenons déjà à appliquer l'égalité des droits et des devoirs envers soi-même et envers les autres.