Ils étaient près de trois cents jeunes, militants des organisations de la société civile, parents, frères, sœurs et amis des martyrs de la révolution du 14 janvier 2011 à avoir investi, hier, durant près de quatre heures, le plateau du parc du Belvédère répondant à l'appel de l'Association Tunaide soutenue par le commissariat régional à la jeunesse et aux sports de Tunis et par le Collectif des associations suivant de près l'évolution de la situation des martyrs et participant, ainsi, à la première édition du «parcours de la mémoire». Ils sont venus de Thala, Kasserine, Regueb, Hammamet, du Kram et d'autres régions du pays pour saluer et la mémoire des martyrs tombés lors des événements survenus du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 et celle des martyrs des événements du 9 avril 1938 qui ont consenti eux aussi le sacrifice suprême afin que la Tunisie accède à la dignité, à la liberté et à la souveraineté. L'émotion se conjuguait à la fierté de ce que les jeunes ont fait jusqu'ici pour que s'installe cette fête de liberté permanente un peu partout à travers la République. Et les militants et militantes de la Ligue des droits de l'Homme, de l'Association des femmes démocrates, de la Fondation Atlas, de l'Association les amis du Belvédère, du Club photo de Tunis s'activant au sein de la maison de la culture Ibn Khaldoun d'accourir nombreux fêter, pour la première fois de leur vie, les événements du 9 avril 1938, à leur manière et suivant une symbolique qui leur est propre, loin de toute instrumentalisation ou récupération à caractère politique. Les martyrs, toujours présents dans notre mémoire Pour M. Ali Z'dini, membre de la Ltdh, la manifestation a une saveur particulière. «Nous avons voulu que la célébration de la fête des Martyrs ait une autre connotation. Nous fêtons aujourd'hui, dans la liberté et la dignité chèrement payées, les martyrs du 9 avril 1938, les martyrs du 14 janvier 2011 et les martyrs des deux ères Bourguiba et Ben Ali, ceux que nous n'avons jamais oubliés. C'est une célébration qui revêt une dimension particulière. Le parcours de la mémoire d'une longueur de deux kms effectué par les jeunes par équipe de 5 à 10 membres transmettant le drapeau national à l'équipe suivante a une symbolique évidente. Ainsi, la verve patriotique et l'engagement pour la Tunisie sont appelés à perdurer auprès des jeunes qui découvrent les dimensions de l'action volontaire et de la participation citoyenne». Quant à M. Foued Frini, coordinateur du relais pour les martyrs et encadreur de Tunaide, initiatrice de la manifestation, il s'agit de rendre «d'abord un hommage mérité à la mémoire des martyrs du 14 janvier 2011 et de porter à nouveau la question des martyrs sur la place publique, près de trois mois après le déclenchement de la révolution. Le rôle des associations de la société civile est de se mobiliser, en permanence, afin que cette question reste toujours placée au fronton des préoccupations nationales jusqu'à ce que justice soit rendue aux martyrs qui demeurent présents parmi nous». Et c'est là la revendication essentielle, fondamentale et majeure, exprimée haut et fort par les parents, les frères, les sœurs, amis et proches des martyrs. A l'unisson, ils réclament que justice soit rendue aux victimes et que les criminels reçoivent la sanction qu'ils méritent, loin de tout esprit de revanche ou de chasse à l'homme. «Notre objectif suprême est de voir la justice trancher, dans la clarté et la transparence, nous rétablir dans nos droits légitimes et laver, dans l'honneur, le sang de nos martyrs», s'accordent-ils à souligner. Les jeunes Watek et Najeh Ghodbani dont des membres de la famille sont tombés sous les balles des forces de l'ordre à Kasserine relèvent : «Nous ne sommes pas venus à Tunis participer à la manifestation pour exiger une réparation matérielle. Nous sommes ici pour faire entendre notre voix, exiger que les coupables soient poursuivis et que les criminels dont nous connaissons les noms et les adresses (bien qu'ils aient été mutés dans d'autres villes depuis les événements) soient arrêtés et démasqués à la télévision devant tous les Tunisiens qui ont le droit absolu de savoir pourquoi et comment la tragédie a eu lieu». La jeune Hind Jabbari, fille du martyr Ahmed Jebbari, lance un appel émouvant aux moyens de l'information dans «le but de maintenir la pression vivace sur la question des martyrs, de dénoncer les pratiques inacceptables commises par certains responsables qui n'ont pas encore compris que l'époque a changé et qui refusent toujours d'écouter les citoyens et d'accéder à leurs demandes». La mobilisation continue Mme Fethia Hizem, membre du bureau directeur de l'Association tunisienne des femmes démocrates, va droit au but, à travers l'organisation d'une telle manifestation: «Nous voulons exercer une pression continue sur le gouvernement afin que les criminels, Ben Ali en tête, soient poursuivis et que les victimes de la révolution et de la répression policière soient réhabilitées». Une opinion partagée par la jeune militante de l'Atfd, Amani Razgallah, qui appelle la société civile à faire en sorte que la mobilisation et la veille se poursuivent et ne baissent pas d'un iota. «Il y a un seuil au-dessous duquel l'on ne doit pas tomber afin de faire barrage aux tentatives de récupération et d'exploitation de la révolution aussi bien par les structures gouvernementales que par les forces obscurantistes». Un travail pédagogique énorme attend les femmes démocrates qui ont passé leur vie à militer pour le renforcement des acquis réalisés au profit de la femme du temps de Bourguiba et de Ben Ali, dans le sens d'aller au-delà du CSP et des avantages qu'il comporte. «Aujourd'hui, la bataille se poursuit de plus belle, précise Mme Jamila Ben Chédli, enseignante à la retraite et militante de base au sein de l'Association tunisienne des femmes démocrates. Face aux dangers intégristes qui guettent les forces démocratiques, notamment les femmes et au double langage auquel il s'adonnent sur les plateaux de télévision et sur les colonnes des journaux qui leur sont gracieusement ouverts, les démocrates ont le devoir de réagir en front uni dans l'objectif de dévoiler les véritables desseins de ces parvenus et de rappeler aux Tunisiens que les intégristes ont brillé par leur absence lors des manifestations qui ont été couronnées par la victoire du vendredi 14 janvier. Qu'ils ne viennent pas aujourd'hui confisquer la révolution des jeunes et prétendre leur montrer la voie à suivre». La manifestation «Relais des martyrs» a été dominée principalement par les témoignages des parents des martyrs et les échanges qu'ils ont eus avec les médias venus nombreux vivre l'événement et faire entendre la voix de ceux qui ont parcouru plus de quatre cents kilomètres et sont venus rappeler que la plaie n'est pas encore cicatrisée et que les martyrs ne reposeront en paix qu'une fois que justice leur sera rendue et que leurs bourreaux seront placés sous les verrous. D'ailleurs, l'une des sœurs de l'un des martyrs de Kasserine l'a exprimé clairement: «Notre ambition est de revenir le 9 avril 2012 fêter doublement les martyrs, une fois que les droits de nos frères et de nos pères seront rétablis et que la justice aura dit son mot». Il est à préciser que la manifestation «Relais des martyrs» a comporté d'autres volets dont un atelier d'arts plastiques, un espace graffiti et une animation musicale agrémentée essentiellement par le chanteur engagé Khaled Kéfi, chanteur de la révolution.