Que pensez-vous des deux modes de scrutin proposés par l'Instance supérieure de la réforme politique ? Comme nous le savons tous, deux scénarios sont proposés par l'Instance supérieure des réformes politiques : le premier scénario propose l'élection des membres de l'Assemblée nationale constituante sur la base d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, le deuxième concerne un scrutin de liste à un seul tour, alors que la répartition des sièges se fait au niveau des circonscriptions, sur la base de la proportionnelle. Deux options se présentent : la liste fermée (à prendre où à laisser), l'électeur, en la choisissant, choisit tous les candidats y figurant et la liste ouverte en vertu de laquelle l'électeur pourrait cocher des candidats au sein de la liste et des listes candidates présentes (c'est le panachage).. Les connaisseurs du droit public interne ont habilement démontré que le mode électoral sur des listes bloquées appliquant la proportionnelle tout comme le scrutin uninominal à un tour, conduit inévitablement à une Assemblée constituante très peu représentative et donc non crédible. Par contre, le mode uninominal à deux tours ainsi que le vote sur des listes ouvertes traduisent plus fidèlement la volonté des électeurs et conduisent à une Assemblée représentative et crédible. Dans le scrutin uninominal majoritaire à deux tours comme cela est prévu dans le projet du texte, il s'agit de relever dans chaque circonscription électorale, le candidat qui a reçu le plus de voix à la majorité absolue dès le premier tour, sinon à la majorité simple au second tour qui serait organisé seulement entre le premier et le deuxième candidat ayant reçu le plus de voix. Un seul candidat serait désigné vainqueur dans chaque circonscription électorale. L'ensemble des candidats vainqueurs dans la totalité des circonscriptions électorales du territoire tunisien formeront les membres de la future Assemblée nationale constituante. Dans ce mode de scrutin, l'effectif de l'Assemblée dépend du nombre des circonscriptions électorales à prévoir sur le territoire tunisien. En revanche, pour le mode de scrutin proportionnel de listes, il s'agit d'abord de fixer à l'avance les sièges à pourvoir pour la future Assemblée nationale constituante et de distribuer ces sièges aux listes, proportionnellement aux voix qu'elles ont obtenues dans les circonscriptions électorales. Les listes ayant reçu le plus de voix auront le plus de sièges à l'Assemblée nationale constituante. Le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours favoriserait l'émergence de candidats reflétant les diverses sensibilités des régions de la Tunisie bien qu'il jouerait en faveur des grands partis politiques. Son plus grand défaut, c'est de ne pas pouvoir consacrer la parité entre homme et femme ni une bonne représentativité des jeunes, étant donné qu'on a un siège par circonscription. D'après vous quel mode conviendrait le mieux pour les élections de la prochaine Constituante ? Il n'existe pas de mode de scrutin parfait mais il faut choisir le plus adapté et le plus conforme à la réalité tunisienne, et ne pas copier les expériences des autres. Notre réalité tunisienne est marquée par la multiplication des partis politiques, l'existence d'un important déséquilibre régional, en plus d'une volonté certaine de faire participer la population jeune à la prise de décision. Nous penchons pour un mode de scrutin pouvant faire en sorte qu'aucune tendance politique ou sensibilité intellectuelle ne se sente écartée ou privée de son droit absolu de participer à la Constituante. D'après nous, et à l'image de plusieurs constitutionnalistes, intellectuels et hommes politiques dont l'ambition suprême est de faire réussir la révolution et d'empêcher qu'elle soit confisquée ou récupérée par les professionnels de la politique, nous sommes persuadés qu'il faut opter pour l'adoption d'un système qui prendrait en compte les avantages de chaque mode de scrutin initialement proposés. Il nous semble que le mode le plus démocratique est le scrutin de liste ouverte à la proportionnelle. Ce mode donne la chance à tous les partis politiques pour présenter des candidats (la proportionnalité ne permet pas à un parti politique d'avoir la majorité à l'Assemblée). Que pensez-vous de la prolifération des partis politiques et quelles seraient les forces qui pourraient animer la vie publique de manière à éviter les dérapages ? Pendant trop longtemps, le pays a été privé du droit de s'exprimer librement, il a saisi la première occasion pour s'épancher sans retenue et pour manifester, dans une sorte de défoulement collectif, toute sa joie de pouvoir exercer, sans entrave, une liberté qui lui est si chère, si naturelle. La Tunisie n'et pas unique sur ce plan, les révolutions portugaise et espagnole ont provoqué un état similaire des choses. En outre, il faut reconnaitre que le paysage politique tunisien, opprimé au temps de Ben Ali, était déjà assez complexe, et que nombre de formations politiques (islamiques, de droite ou de gauche) étaient privées de toute activité, et de ce fait, empêchées de toute interaction avec le peuple. Un véritable kaléidoscope vient raviver le climat politique, longtemps sclérosé et ployant sous le joug du parti unique, révélant une société féconde en idées, en projets et en programmes qui, sous leurs diverses orientations, semblent avoir un dénominateur commun : une Tunisie démocratique et juste, où la dignité et la liberté de chacun seront garanties. L'analyse du paysage politique actuel fait ressortir que cinq grandes familles politiques se dégagent : les islamistes, l'extrême gauche, les nationalistes arabes, la gauche et les centristes. Une autre famille semble se dessiner progressivement et devra regrouper des partis qui se disent bourguibistes ou destouriens prétendant représenter la continuité de la culture marquant la période de la lutte pour l'indépendance, la mise en place des institutions de la République et la consécration des acquis de la modernité. La prolifération me semble signe de vitalité et de dynamisme. J'insiste sur le fait que la restriction des partis est dangereuse, car nous voyons dans ces partis des écoles pour le dialogue, la citoyenneté, le respect de l‘autre, la pratique démocratique et la liberté de parole. Le peuple tunisien pour lequel ces valeurs ne sont pas familières, devra trouver dans ces partis, un espace favorable pour s'initier à la pratique démocratique, et contribuer à l'édification de son avenir et accéder au statut d'une citoyenneté active et agissante.