Notre transition bruit de mille petits événements. L'un de ces petits faits de la vie nationale, par lesquels la Tunisie s'ébroue lentement, après une longue période de glaciation, a eu lieu samedi 26 mars 2011 à la faculté de Médecine de Tunis. Le doyen et le Conseil scientifique ont organisé, à partir de 11 h du matin, une manifestation pour inaugurer la Salle du Conseil scientifique qui portera désormais le nom du Professeur Saïd Mestiri. Chirurgien, M. Mestiri est une personnalité très connue et respectée dans le milieu médical tunisien. Après des études au lycée Carnot de Tunis, il s'engage dans la formation médicale en 1939. La France étant en guerre, il s'inscrit à la faculté de Médecine d'Alger où il achèvera sa formation, puis il exerce, dans la même ville d'Alger, comme interne des hôpitaux entre1947 et 1951. Chirurgien assistant à l'hôpital Sadiki de Tunis à partir de 1951, il devient chirurgien chef à l'hôpital Habib-Thameur à partir de 1957, puis chef du service de chirurgie générale à l'hôpital de La Rabta de 1965 à 1985. A cette carrière de praticien, Saïd Mestiri joint un itinéraire de Professeur à la faculté de Médecine de Tunis entre 1970 et 1985. Ses élèves et disciples sont nombreux, disséminés aujourd'hui dans le tissu hospitalier et universitaire tunisien, riche en compétences. Il faut ajouter à cette audience nationale une solide activité de représentant dans diverses académies internationales de médecine. En effet, Saïd Mestiri, président fondateur de la Société tunisienne de chirurgie en 1973, est membre de l'Académie nationale de chirurgie française depuis 1976, membre honoraire à l'Académie Royale de Médecine de Belgique depuis 1998, membre délégué de la Tunisie à la Société internationale de chirurgie entre 1959 et 1993 et membre d'honneur de l'Association française de chirurgie. A cette riche activité professionnelle, il a adjoint un autre pan d'activité, plus rare, celui de l'écriture. Féru d'histoire et de philosophie, Saïd Mestiri a réussi à convertir sa retraite en une période féconde et de participation active à la vie scientifique et intellectuelle tunisienne. Il est ainsi l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à son itinéraire personnel (La passion et le métier, 1995), à l'histoire de la médecine arabe (Abulcassis, grand maître de la chirurgie arabe, 1997), à une réflexion sur la place et l'évolution de cet art entre l'Antiquité et la période arabo-musulmane qui a engendré les noms d'Al Farabi, Ar-Râzi, Ibn Sina, Ibn Al Jazzar, Ibn Zohr…(Le médecin dans la cité. Origine et évolution de la médecine arabo-islamique, 2006). Ces études, de facture humaniste, situent leur auteur dans une filiation, entre une influence intellectuelle clairement nourrie de culture philosophique et littéraire et la volonté de relier les savants arabo-musulmans et leurs apports à une médecine universelle partagée. Ce faisant, il révèle dans ces ouvrages un talent d'historien qui est encore plus patent dans une autre série d'écrits consacrés à l'histoire de la Tunisie contemporaine. Gendre de M'hamed Chenik, il publie deux tomes sur le règne de Moncef Bey (Moncef Bey, Le règne, 1988 et Moncef Bey, chronologie d'exil, 1990) récemment réédités par Sud Editions (Moncef Bey, 2010). Faisant suite à ces ouvrages, le ministère Chenik à la poursuite de l'autonomie interne (1991) établit une chronologie minutieuse sur une période encore insuffisamment connue par les historiens et que Saïd Mestiri éclaire par les souvenirs de ses échanges avec son beau-père passés au crible d'une documentation sérieuse et d'un esprit critique affûté. Toutes ces qualités d'enseignant, de praticien, d'intellectuel ont été rappelées par les différents intervenants à cette cérémonie d'inauguration. Confrères et élèves ont souligné à travers des éloges et des anecdotes la rigueur du personnage, son profond humanisme, comme ils ont rendu hommage à son amour du métier et à son travail de formateur de générations de chirurgiens. Mais c'est dans l'intervention finale du Professeur Saïd Mestiri que l'assistance a pris la mesure remarquable de cet homme, enraciné dans son présent, tourné vers l'avenir. Dans une improvisation pleine de souffle, il a prononcé une adresse à la Révolution tunisienne encore en cours. Il a su dire, dans cette allocution de circonstance, la charge émotive de cet événement majeur et transmettre à l'assistance les réflexions d'un homme touché par l'éclaircie inouïe que traverse notre vie politique. Appelant à en prendre la mesure autant qu'à en apprécier la beauté, Saïd Mestiri a parlé en homme croyant en l'avenir de cette nouvelle page qui s'ouvre devant la Tunisie, en soulignant la fragilité de la situation et sa potentialité infinie, donnant ainsi la preuve, une fois de plus de son humanité comme de son savoir, toujours présents, au service de son pays. Nous reproduisons le contenu de ce discours (Ndlr: nous le reproduirons tantôt) est un véritable hymne à un devenir démocratique longuement souhaité par cet humaniste démocrate et mis en œuvre à travers sa carrière, son action scientifique et son œuvre intellectuelle.