La Fondation Konrad-Adenauer et la Chaire Unesco d'études comparatives des religions organisaient hier, à Gammarth, une journée d'étude sur le thème : «Révolutions et transitions démocratiques : témoignages croisés, études comparées». Des intervenants étrangers ont été invités à présenter leurs témoignages sur la façon dont s'est accomplie chez eux la transition démocratique. Il s'agit essentiellement de personnalités issues des anciens pays communistes d'Europe centrale et orientale : Pologne, Allemagne de l'est et Roumanie. Mais l'Espagne était également prévue au programme en qualité d'exemple de transition contre un régime dictatorial dans un contexte non communiste. Un témoignage marocain était aussi au menu dans le cadre de la réflexion sur le processus de réconciliation, puisque ce processus est envisagé chez nous dans le prolongement des actions judiciaires contre les responsables des violences policières lors des événements qui ont marqué la Révolution du 14 janvier. Enfin, la séance de l'après-midi était réservée au débat autour du cas de la révolution tunisienne et devait servir à engager des comparaisons avec les exemples évoqués précédemment. Une précédente rencontre organisée également par la fondation Konrad-Adenauer avait déjà permis de «convoquer» les expériences de pays tiers, et notamment celle de la Pologne, qui présente avec l'exemple tunisien la similitude d'être celle par laquelle a commencé une vague de révolutions. C'est en effet en 1989 que, sous l'action du syndicat Solidarnosc, le régime communiste polonais est tombé, et avec lui le mur de la peur qui, à peine quelques mois plus tard, devait emporter celui de Berlin. L'Europe communiste avait vécu. Comment s'est opéré le changement ? Le renversement de l'ordre autoritaire à l'ordre démocratique s'est-il fait d'un coup ? Non, nous apprend M. Bronislaw Wildstein, qui est membre fondateur de Solidarnosc. La figure du fonctionnaire «corrompu et blasé», dont le critère du choix et de la promotion, jusqu'en haut de la pyramide sociale, est d'être «fidèle, médiocre et passif», a accéléré le processus de pourrissement du régime, fait valoir le conférencier, mais ce fonctionnaire était toujours là après la révolution et ne pouvait se transformer du jour au lendemain en un personnage soucieux d'éthique. L'exemple polonais suscite des interrogations multiples, dont la salle s'est fait l'écho, sur le rôle des médias, de l'Eglise, de la femme, des syndicats, mais aussi de l'étranger, à savoir de l'Europe et des Etats-Unis. Par bien des aspects, des similitudes sont suggérées: les changements de responsables à la tête des organes de la presse, et de la télévision en particulier, avec une évolution progressive des contenus ; l'implication des institutions religieuses dans la transition démocratique, dont M. Wildstein dit qu'elles ont constitué un «faux danger» contre la révolution, le vrai danger faisant plutôt référence aux nostalgiques de l'ancien régime : «Ce n'était pas l'Eglise qui empoisonnait la transition», fera-t-il valoir. Il est vrai que les liens entre le syndicat Solidarnosc et l'Eglise catholique étaient étroits et que cela pouvait aller au détriment du développement de la société civile, comme on l'a fait remarquer dans la salle. Ce n'est pas l'avis de l'intervenant en tout cas, qui répond : «Au contraire !» Quant à la femme, son rôle a été «très important». La preuve : c'est en raison du licenciement d'une femme à Gdansk que le mouvement est parti… Puis elles ont été très présentes lors des grèves qui ont eu lieu… Et le seront également lorsqu'il s'agira de les poursuivre en signe de solidarité avec d'autres actions engagées. La question des syndicats et de leur évolution est intéressante, car si c'est un syndicat qui devait être l'artisan principal de la révolution polonaise, c'est ce même syndicat qui devait ensuite endosser des réformes dont certaines étaient douloureuses dans le cadre d'un passage à l'économie de marché. Du coup, ce sont de nouveaux syndicats qui ont vu le jour et qui ont répondu aux revendications des salariés… Dès lors, on imagine quel changement d'image pouvait subir Solidarnosc, malgré le rôle héroïque qu'il avait joué auparavant ! Le conférencier polonais devait également évoquer le problème – grave – de la corruption, qui a persisté malgré l'édifice des dispositions juridiques mises en place, les habitudes anciennes trouvant toujours des fissures par où revenir.