Par Amin Ben KHALED * Une révolution peut-elle tout se permettre ? Absolument ! répondait un Robespierre exalté au lendemain de la Révolution française – révolution qui finira tout de même par l'envoyer à la guillotine –, mais que dirait aujourd'hui, au lendemain de la Révolution tunisienne, un homme de droit ? Peut-elle transgresser les lois au nom d'une certaine raison révolutionnaire supra-juridique voire quasi-divine ? Non, car en l'absence d'un «minimum de droit», la brise révolutionnaire risque de devenir un ouragan totalitaire qui n'aura cure des fondamentaux juridiques et qui, au final, balayera le fragile processus de transition démocratique. Cependant, certains juristes se demandent tout de même, si au nom de la révolution on ne pourrait faire fi d'un certain puritanisme procédurier, afin de juger d'une manière exemplaire et rapide les anciens hiérarques du régime déchu, dont la culpabilité est évidente aux yeux de tous. Toutefois, quelle que soit la légitimité révolutionnaire, quelle que soit la nature des crimes et quelle que soit la clameur populaire, la justice ne peut méprendre les principes universels du procès équitable. Car, et contrairement à une idée assez répandue dans la rue, c'est à travers le respect de ces principes que la justice tunisienne contribuera à concrétiser les objectifs de la révolution. Ainsi, la mise en œuvre d'un procès équitable permet tout d'abord de redonner à la justice son caractère moderne. Car la Révolution tunisienne est appelée à marquer le passage d'un système judiciaire asservi, vengeur et inique – en somme un système archaïque qui a sévi durant des décennies – à un système judiciaire autonome, rationnel et flegmatique concrétisant l'indépendance du juge, la présomption d'innocence et la sacralité du droit de la défense. Par conséquent, la révolution redonnera à une justice longtemps bafouée ses lettres de noblesse, à travers la mise en place d'un procès équitable en harmonie avec les exigences de la transition démocratique, transition qui doit faire «transiter» les Tunisiens d'un Etat arbitraire à un véritable Etat de droit. Aussi, un procès équitable est un processus qui permettra progressivement de mettre à nu les rouages obscurs d'un système autoritaire qui a contrôlé, d'une manière sournoise, Etat, société et individu durant plus de deux décennies. Ici, il est tout aussi légitime qu'opportun de lever le rideau, par exemple sur les relations obscures qu'entretenait l'exécutif avec la sphère des finances; d'expliquer pourquoi tel agent avait-il exécuté des ordres qui étaient contraires à la moral, au droit et même à ses convictions personnelles; de dire pourquoi s'acharnait-on à torturer gratuitement les opposants et les prisonniers; ou de montrer comment une telle famille ou un tel clan avait pu terroriser les citoyens. Le dévoilement progressif de ces vérités – tout au long du procès – permettra d'une part à la société tunisienne de comprendre la véritable nature du régime déchu, mais aussi et surtout cela permettra de se prévaloir de nouveaux mécanismes institutionnels et juridiques permettant de se prémunir dans le futur contre toute forme perfide et atypique de criminalité politique. Enfin, et dans la mesure où beaucoup d'accusés avaient fui le pays pour profiter de la sécurité judiciaire qu'offrent certains systèmes juridiques occidentaux, il convient à la justice tunisienne d'assurer à ces pays, qu'une fois livrés à elle, nos nationaux seront jugés dans le cadre d'un procès équitable, dépassionné et méticuleux. Car, même si nos juges et avocats sont pour la plupart au fait des principes universels de la justice, ils montreront au monde entier, à travers ce procès, que le pouvoir judiciaire constitue le fer de lance de la transition vers la démocratie, démocratie qui constitue l'objectif ultime de la Révolution tunisienne.