On peut être d'accord ou désapprouver. Infirmer ou souscrire. Mais, hier, M. Béji Caïd Essebsi a abordé certaines questions qui fâchent, ne fût-ce qu'à moitié. Dans sa conférence de presse, le Premier ministre du gouvernement provisoire a fait un tour d'horizon des questions brûlantes. L'actualité le commande en fait. Les attentes et expectatives des états-majors politiques aussi. Toutefois, il a parlé d'une certaine gabegie qui, à l'entendre, s'est installée dans notre vécu quotidien. Elle se concrétise par les sit-in, manifestations, attroupements protestataires, improvisation de barrages sur les routes et les voies ferrées, etc. M. Caïd Essebsi a parlé de plus de cent-dix barrages comptabilisés jusqu'à hier matin. A bien y voir, oui, certainement, il y a multitude de barrages sur nos routes et nos voies ferrées tantôt impromptus, tantôt anticipés. Cela cause bien des désagréments, bien évidemment. Deux remarques interpellent cependant. La première, c'est que, en dernière instance, c'est le gouvernement qui est responsable de ces faits. Des faits d'autant plus patents qu'avérés, et reconnus comme tels par le gouvernement proprement dit. Un certain ras-le-bol envahit les consciences communes. Les âmes sont profondément éprouvées. On a fait la révolution. Oui, soit, et c'est tant mieux. Mais, pour les larges masses, les résultats se font toujours attendre. Bien sûr, le gouvernement, tout gouvernement, n'a point quelque baguette magique. Il ne saurait venir à bout, en quelques semaines, de problématiques accumulées au fil des décennies. Ici aussi, il importe de donner du temps au temps. N'empêche. La boîte de Pandore est grande ouverte. Il faut faire montre de mansuétude. C'est-à-dire comprendre les gens. Ne pas pleurer, ne pas rire, mais comprendre, comme dirait Spinoza. Ce qui n'équivaut guère à légitimer, et encore moins appuyer les attitudes et agissements des uns ou des autres. Certaines familles n'ont guère fait leur deuil. Des personnes qui leur sont très chères ont été tuées. Les responsables courent toujours. Le calvaire est quotidien, le martyre de chaque instant. Les écorchés vifs sont parmi nous. D'autres personnes n'en finissent pas de végéter au ras du sol. Plus de trois mois après la Révolution, le chômage, la mal-vie et les misères multiformes sévissent encore. Les aspirations et ambitions sont plus grosses que les possibilités réelles. Et il reste toujours quelques généreuses promesses suspendues en l'air. Alors les gens débraient. Les gens protestent. Les gens se laissent aller à des formes extrêmement tendues de l'expression du mal-être et du ressentiment. Dans ce registre, la démesure a bon dos. Les situations extrêmes génèrent des positionnements extrêmes. La seconde remarque a trait à l'étonnement de M. Caïd Essebsi. Il a fait remarquer que les partis politiques tunisiens ne semblent guère prompts à condamner ou stigmatiser les mouvements protestataires. Ce faisant, il laisse entendre que lesdits partis brodent sur ces mouvements plutôt qu'ils ne les désapprouvent. L'on ne sait d'où le Premier ministre par intérim tient ces certitudes. A défaut d'être dans le secret des dieux, nous gagnerions à être exhaustivement informés là-dessus. Pour l'heure, on sait que le réflexe premier des partis politiques, ici comme ailleurs, consiste à prendre en considération le courroux populaire. Pour certains, en période préélectorale ou électorale, cela relève du pain béni. C'est, d'une certaine manière, disons-le, de bonne guerre. Et puis les partis politiques, en l'état actuel, s'apparentent bien à l'opposition. Certes, le gouvernement intérimaire n'a pas de parti politique. Mais il n'en représente pas moins une tendance. On voit d'ailleurs mal un parti opposant s'en prendre au peuple qui exprime sa désapprobation d'un gouvernement qui plus est transitoire. Dans tous les cas de figure, M. Béji Caïd Essebsi a lancé une espèce de SOS, un cri de détresse. Les partis politiques et la société civile semblent pourtant voir l'incendie ailleurs. Et ils ne semblent pas près d'assumer de sitôt le rôle du pompier.