“Nous ouvrons une ère nouvelle. L'Egypte commence à jouer son rôle qu'elle avait abandonné” (déclaration de la représentante des Affaires étrangères d'Egypte, le 27 avril, lors de la conclusion de l'accord entre le Fatah et le Hamas). Il est, dans la nature des choses, que la politique étrangère arabe subisse les effets des révolutions populaires, qui opèrent un changement d'acteurs et mettent à l'ordre du jour de nouvelles approches. Produit de la géographie et de l'histoire, la politique étrangère arabe doit s'adapter à la nouvelle donne et effectuer les correctifs nécessaires, en relation avec la démocratie citoyenne qui s'érige dans le contexte du printemps arabe. Désormais, les peuples font entendre leur voix et exigent de voir leurs priorités entrer en ligne de compte. L'ère des compromissions des dictateurs relève désormais de l'histoire d'antan, annonçant la fin de la dichotomie entre le dirigeant et le citoyen. Il faut prendre la juste mesure de la nouvelle réalité. En Egypte, les dirigeants de l'ère de la transition semblent soucieux de remettre les pendules à l'heure. Tenant compte de l'exigence nationale, ils remettent en cause la politique de ménagement de l'Etat israélien. L'Egypte va rouvrir de manière permanente la frontière avec Gaza, afin d'alléger le blocus imposé par Israël à ce territoire, a annoncé vendredi 29 avril le ministre des Affaires étrangères égyptien, Nabil Al-Arabi, sur la chaîne de télévision Al-Jazira. L'Egypte, dit-il, “va prendre des mesures importantes pour aider à alléger le blocus dans les jours à venir”. Il a qualifié de “honteuse” la décision de fermer ce terminal, seul point d'entrée de la bande de Gaza à ne pas être contrôlé par Israël. Autre fait important, la remise en cause de l'accord privilégié, assurant le ravitaillement à bas prix d'Israël en gaz naturel. D'ailleurs, le gazoduc situé dans le Sinaï a été l'objet, le 27 avril, d'une deuxième explosion, en moins de trois mois. Le “gaz est la partie la plus importante du volet économique du traité de paix conclu entre les deux pays” signé en 1979. Or, le nouveau gouvernement égyptien, dirigé par Essam Charaf, a décidé, dès le 13 avril, de revoir tous les accords de fourniture de gaz, y compris avec Israël dont les achats conclus sous l'ex-président Hosni Moubarak étaient très critiqués par l'opposition. D'après Essam Charaf, la révision des accords pourrait rapporter "une hausse des recettes estimée entre 3 et 4 milliards de dollars", un supplément appréciable alors que l'Egypte subit les contrecoups économiques de la révolte qui a renversé Moubarak en février. Est-ce à dire que c'est la fin de l'accord de Camp David ? Nous n'en sommes pas encore là. Mais l'Egypte vient de tourner courageusement la page des relations de complicité, de l'alliance de fait, instituées par le président Moubarak. Fait d'évidence, la “normalisation” doit désormais dépendre des avancées du processus de paix. Ce message aura des effets certains sur les autres pays du Moyen-Orient. Il annonce la fin de “la diplomatie secrète”, vu l'exigence de la transparence du printemps arabe. Autre fait signalé, l'Egypte a opté pour une normalisation de ses relations avec l'Iran, interrompues en 1980. En tout cas, les relations cessent d'être conflictuelles entre les deux puissances régionales. Bien entendu, la conjoncture peut mettre fin au contentieux. Mais elle ne peut annihiler les problèmes découlant des rapports de force et des relations privilégiées de chaque pays. La démarcation géopolitique entre l'axe radical, incarné par l'Iran et la Syrie, et le clan des pays modérés, les pays du Golfe, la Jordanie et l'Egypte ne peut être effacée du jour au lendemain. L'Egypte, peut, certes, exercer sa médiation, rapprocher les points de vue, œuvrer pour la mise au point des compromis. Le nouveau contexte l'incitera à le faire. Mais les positions de base, les discours fondateurs et les pesanteurs de la géopolitique limiteront les repositionnements. D'autre part, la situation socioéconomique de l'Egypte limitera son rôle, en relation avec la concurrence effective des pays du Golfe. D'ailleurs, la tournée du Premier ministre égyptien en Arabie, au Koweït et au Qatar, axée sur la sécurité régionale et les crises libyenne et yéménite, montra la situation expectative des pays visités (éditorial d'Al-Quds, 29 avril). L'accueil réservé s'expliquerait, d'après notre analyse, non par le regret de Moubarak — les régimes agissent selon leurs intérêts mais non leurs amitiés — mais plutôt par leur crainte de la sortie éventuelle de l'Egypte de l'axe anti-iranien. L'accord surprise annoncé mercredi 27 avril par les médiateurs égyptiens entre le mouvement islamiste, qui contrôle Gaza, et le parti nationaliste du président palestinien, Mahmoud Abbas, qui administre la Cisjordanie, s'inscrit dans ce nouveau contexte. Libérant le mouvement palestinien du jeu de rôle de l'ancien président Moubarak, le printemps arabe annoncerait une reprise de l'initiative du mouvement palestinien et une réappropriation de leur destin, débarrassé du jeu des parrains, agissant sur la scène publique ou dans l'underground. Cette donne permettrait la prise en compte par tous les acteurs de la région des vrais enjeux pour créer un environnement favorable à la reprise effective du processus de paix.