Par Soufiane Ben Farhat La communication gouvernementale a un style obligé. Elle consiste à faire connaître, comprendre et accepter des décisions de l'exécutif. Et elle ne saurait souffrir l'attentisme ou le mélange des genres. Autrement, dans tous les cas de figure, elle s'avère contreproductive. S'emmêle les pinceaux et pique tête en avant dans la confusion. M. Béji Caïd Essebsi, chef du gouvernement intérimaire, le découvre sans nul doute à ses dépens. Son quasi-monologue du dimanche soir en présence de trois journalistes en est témoin. Encore une fois, la précision s'impose. Je ne critique point mes confrères. Par déontologie, bien évidemment. Mais aussi par le respect que je leur voue, fraternellement, amicalement ou d'usage. Ce n'est pas d'eux qu'il s'agit, mais bien du chef du gouvernement intérimaire-provisoire-et-de-transition. En multipliant les épithètes, on est sûr de ne pas se tromper, ni offusquer. Ou presque. M. Caïd Essebsi est de la vieille école. Celle qui se satisfait volontiers de journalistes sur la défensive, culpabilisés ou, dans le meilleur des cas, complaisants. A chaque type d'archives, une boîte appropriée. Et un modus operandi. M. Essebsi a passé quatorze ans à la tête du ministère de l'Intérieur, notamment dans le fauteuil de ministre. Il n'a de cesse d'ailleurs de le rappeler. Publiquement et à tout bout de champ. Il a également dirigé, de longues années durant, le ministère des Affaires étrangères. Là, on met un point d'honneur à ne pas communiquer. Ici, on cultive volontiers le semblant et le paraître. On y dit les choses à demi-mots, dans un langage le plus souvent ampoulé ou fleuri. Quitte à exprimer les sujets qui fâchent sur un ton pseudo-anodin. En tout état de cause, l'apparition de M. Caïd Essebsi était particulièrement attendue et réclamée dimanche soir. Elle est en fait intervenue tardivement. Après trois jours de violences et d'exactions. Rien n'empêchait le chef du gouvernement intérimaire-provisoire-et-de-transition de réagir le lendemain même de la diffusion des propos de M. Rajhi, ex-ministre de l'Intérieur limogé. Des propos qui, immédiatement, ont mis le feu aux poudres et suscité de sérieux positionnements et clivages. L'actualité brûlante commandait à M. Essebsi d'agir en toute urgence. Les observateurs pointèrent immédiatement les risques et périls escomptés. L'intervention a été également desservie côté forme. Pourquoi devant seulement trois journalistes des télévisions nationales ? Les mêmes chaînes témoins du monologue à peine déguisé de la fin mars qui plus est. Et pourquoi pas un discours en lieu et place de la conférence restreinte, préenregistrée et diffusée de surcroît en différé ? Ce qui importe au bout du compte, c'est l'échelle de la perception. Là, force est de constater que la conférence a ouvert une véritable boîte de Pandore. Et M. Essebsi a eu le loisir de noyer le poisson sur la question essentielle qui est sur toutes les lèvres : Le gouvernement de l'ombre. Croyant bien faire pour compenser le déficit informatif, il a brassé large. Et a réussi la prouesse de se mettre tout le monde sur le dos. Le lendemain même de son plaidoyer, magistrats, avocats, journalistes, représentants des partis politiques, syndicalistes, partisans de Rajhi, gens de Siliana, entrepreneurs, gardiens de prison, agents municipaux et bien d'autres ont exprimé leur vive réprobation des propos de M. Béji Caïd Essebsi. Il n'y manquait que les snipers ! Et pour cause. Essebsi en nie catégoriquement l'existence. Tout en concédant que certains d'entre eux ont été jugés et sont sous les verrous ! La mauvaise communication a des effets pervers. Nul n'y échappe. Si rompu aux secrets de dieu et si familier aux subtilités et arcanes de la politique soit-il. M. Béji Caïd Essebsi a, en fin de compte, éludé les questions qui fâchent à large échelle tout en élargissant le cercle des personnes et catégories offusquées. M. Moez Sinaoui, son mentor en communication, est en retrait ces derniers jours. Ses fréquentes dernières sorties, stéréotypées à souhait et brodant volontiers sur le registre de la sinistrose, n'ont pas convaincu. En montant au créneau, tardivement il est vrai, M. Essebsi n'a guère convaincu, lui non plus.