Après Mohamed Mzali (« Un Premier ministre de Bourguiba témoigne ») et Béji Caid Essebsi (« Habib Bourguiba, Le Bon grain et l'ivraie »), c'est au tour de Mansour Moalla, autre ministre de Bourguiba et grand acteur de la vie économique tunisienne depuis 1956 jusqu'au début des années 1990, de publier son témoignage sur les cinq dernières décennies qu'a vécues notre pays. Intitulé « De l'indépendance à la Révolution. Système politique et développement économique en Tunisie », l'ouvrage n'est autobiographique qu'en partie. Sa valeur testimoniale est nettement soulignée par l'auteur qui retrace, à travers les œuvres auxquelles il a contribué en tant que ministre ou en sa qualité de fondateur et de gestionnaire de diverses institutions financières et académiques, la marche tantôt triomphale, tantôt hésitante d'une jeune république vouée, si ses hommes avaient tenu leurs promesses et respecté leurs engagements initiaux, à enfanter « sûrement une démocratie modèle, un pays développé, une société juste et enfin un peuple et des citoyens libres et épanouis, la Suisse du monde arabe et de l'Afrique, telle que nous en avons rêvé, à l'âge de l'espoir et de l'enthousiasme. » Deux régimes et deux bilans Le livre est écrit en six parties consacrées respectivement au temps de l'initiation de Mansour Moalla au militantisme politique aux côtés des grands hommes du Mouvement national, ensuite à l'époque de l'action qui a vu l'auteur prendre part à la restauration de la souveraineté monétaire nationale et à plusieurs activités et missions au sein du gouvernement et de l'administration économique et financière tunisienne et africaine. Plus loin, Mansour Moalla évoque le rôle de premier plan qu'il a joué dans la fondation, la gestion et le développement de la BIAT. La quatrième partie de son ouvrage ressuscite à la fois le temps de l'espoir et celui de la déception sous le régime de Bourguiba. Tant d'années passées au service de la Tunisie et de son essor l'autorisent alors à dresser son bilan de l'ère bourguibienne et à conduire de lumineuses réflexions sur les réussites et les échecs de la République et sur les erreurs politiques, économiques et sociales commises par son équipe dirigeante après 30 ans d'indépendance. La dernière partie tente plutôt de comprendre les causes de notre Révolution du 14 janvier 2011, d'évaluer ses chances de réussir et d'énumérer les perspectives qu'elle promet à la Tunisie et à son peuple si elle atteint tous ses objectifs. Les leçons de l'Histoire C'est dans l'introduction de l'ouvrage que, paradoxalement, Mansour Moalla tire les meilleures leçons de sa longue expérience dans la gestion politique et économique de notre beau pays : « La conclusion fondamentale de l'expérience d'un demi-siècle d'indépendance est que le développement d'un pays est nécessairement tributaire de la qualité de sa gestion gouvernementale. Plus le gouvernement est organisé, rationnel, non dépendant d'une seule personne, plus le développement peut-être continu et substantiel. La Tunisie est sortie de la nuit coloniale, il lui reste à accéder à la pleine lumière de la liberté. » Au terme de ce parcours, l'ancien ministre de Bourguiba ne se grise pas de satisfactions béates ; il reconnaît que le bilan de sa « collaboration » au régime de Bourguiba aurait pu être de loin meilleur que celui qu'il dresse modestement. Mais il n'en rougit point aujourd'hui, loin s'en faut. Pour Mansour Moalla, cette expérience le réconcilie malgré tout avec lui-même : « J'ai vécu pleinement cette recherche, écrit-il. Avec passion le plus souvent et avec parfois des moments de découragement et de désespoir mais sans résignation. J'ai œuvré du mieux que j'ai pu pour faire avancer des idées et des projets que je croyais utiles au pays. J'ai quitté la scène chaque fois que la compromission et le déshonneur allaient devenir le prix à payer pour « rester ». L'activité que j'ai menée au service de cette recherche et de l'intérêt du pays me donne satisfaction et me procure joie et sérénité. Comment alors ne pas sentir que l'on n'a pas vécu inutilement. » Eprouver une telle paix de la conscience après plus de 60 ans de combats et d'action au service de son pays, n'est-ce pas, semble nous dire l'auteur de ces phrases, la meilleure récompense que l'on puisse décerner à un dirigeant probe et honnête ? Badreddine BEN HENDA *De l'Indépendance à la Révolution, de Mansour Moalla, Sud Editions, Tunis, avril 2011. 639 pages, prix public : 29 dt.
Migrants tunisiens Delanoë indigné par la France et l'Europe - Dispositifs de soutien social et humanitaire et d'accès à des hébergements hôteliers en faveur de 200 immigrés tunisiens Bertrand Delanoë, maire de Paris, a publié un communiqué dans lequel il exprime son émotion et son inquiétude que lui inspire l'Europe, et de la France en particulier, face à l'arrivée d'un peu plus de 20.000 immigrés tunisiens en Italie. « Il est particulièrement alarmant de voir les autorités françaises se limiter, sur ce sujet majeur et qui concerne collectivement l'Union européenne, à des pourparlers bilatéraux aux conclusions étroites et aux arrière-pensées évidemment électoralistes, dit-il. Cela n'est ni à la hauteur de la situation, ni à la mesure de l'Histoire. » M. Delanoë rappelle que le peuple tunisien vient de vivre, sans le soutien ni la solidarité des pays européens, une révolution dont les conséquences ont d'ores et déjà bouleversé toute une région du monde. Il subit une crise économique, aggravée par la désaffection des Européens pour ce pays si dépendant de l'activité touristique. Il accepte cependant d'accueillir, fidèle à sa tradition d'hospitalité, des milliers de réfugiés libyens, chassés de chez eux par la guerre. « Dans ces conditions, indique Bertrand Delanoë, voir l'Europe, et tout particulièrement le Gouvernement français, réagir avec tant d'étroitesse et si peu d'humanité face à l'arrivée de quelques milliers d'immigrés tunisiens sur notre sol, m'inspire une véritable indignation. » Le maire de Paris indique que des solutions raisonnables et réalistes peuvent être trouvées pour les 20.000 migrants de ces dernières semaines. Elles doivent être recherchées dans le respect des personnes et du droit, qu'il s'agisse des accords de Schengen ou de la Convention européenne des Droits de l'Homme, en fonction des situations individuelles. En ce qui concerne les 200 immigrés tunisiens qui se trouvent aujourd'hui sur le territoire parisien, dans un état de grande précarité, M. Delanoë indique que « la mairie de Paris, confrontée à l'indifférence de l'Etat, fera tout pour leur apporter des réponses adaptées à l'urgence. » La Ville de Paris a donc décidé de missionner, mardi 26 avril 2011, les associations « France Terre d'asile » et Emmaüs, pour mettre en place des dispositifs de soutien et d'accompagnement social et sanitaire, mais aussi d'accès à des hébergements hôteliers. Par ailleurs, la Ville renforcera son soutien aux associations, comme « la Chorba », qui assurent depuis plusieurs jours une aide alimentaire. Une première enveloppe de 100 000 euros sera consacrée à ces mesures d'urgence. « Mais, sans se limiter à traiter les urgences, précise Bertrand Delanoë, le devoir de notre pays est d'établir, en lien avec les autorités tunisiennes, une véritable logique de partenariat. Les jeunes diplômés tunisiens manquent de débouchés à la suite de leurs études : ce fut d'ailleurs l'une des causes directes du mouvement de janvier 2011. Aussi la France devrait-elle accueillir quelques milliers de jeunes Tunisiens, ainsi que d'ailleurs le prévoit déjà l'accord de coopération signé le 28 avril 2008 entre nos deux pays. Ces jeunes, qui pourraient ainsi débuter leur vie professionnelle en France, auraient ensuite vocation à rejoindre la Tunisie pour contribuer à son développement. Au nom de Paris, j'invite les autorités françaises à savoir répondre avec humanité et dignité à l'attente que des milliers de Tunisiens placent dans notre pays. Il serait très grave qu'en cette circonstance, quelques mois après la Révolution de Jasmin, l'Europe et la France passent, une fois encore, à côté de l'Histoire. »