Par Jawhar CHATTY Par-delà l'instinct naturel à célébrer la démocratisation à travers la Méditerranée et les accès de sympathie, somme toute subjective, le monde libre devrait objectivement être et se montrer reconnaissant à la Tunisie. A l'avant-garde de la transformation politique monumentale qu'est en train de vivre la région méditerranéenne, la Tunisie offre aujourd'hui à l'Europe et aux Etats-Unis d'Amérique une occasion historique de se ressaisir à l'échelle planétaire. «La redistribution de l'équilibre des pouvoirs mondiaux, de l'Ouest à l'Est, de l'Atlantique au Pacifique, est source d'inquiétude tant pour l'Europe que pour les Etats-Unis», écrit Javier Solana dans une tribune du Cercle les échos. Leur perte de pouvoir économique et géopolitique est évidente. Bien que l'attitude géopolitique future des puissances émergentes — le Brésil, la Chine et l'Inde — soit encore incertaine, ce déplacement du pouvoir n'en constitue pas moins une occasion pour la Méditerranée, pour l'Europe et pour…les Etats-Unis. Il est à cet égard des signes qui ne trompent pas : 1- Pour la première fois, la Tunisie et l'Egypte sont invitées à prendre part au Sommet du G8. 2- Une semaine avant la tenue du même sommet, le président Obama a annoncé, dans un discours adressé au monde arabe, un plan économique axé sur la mobilisation des principaux bailleurs de fonds dans le monde et un partenariat commercial stratégique, en vue de soutenir la transition démocratique en Tunisie et en Egypte. 3- Quelques jours auparavant, des économistes de renommée internationale lançaient un appel au G8 pour soutenir la transition en Tunisie. En filigrane de ces trois événements de taille, une projection et une motivation d'ordre géostratégique : la transformation politique monumentale qu'est en train de vivre la région méditerranéenne apparaîtra à l'avenir au moins aussi importante que la chute du mur de Berlin; de l'issue de cette transformation est largement tributaire la renaissance de la Méditerranée. Le parallèle est d'ailleurs saisissant entre le mouvement américain observé en direction des pays de l'Est au lendemain de la chute de l'empire soviétique et celui, amorcé, ce jeudi à Washington, par le président Obama, en direction de la Tunisie qui est, a-t-il déclaré, à «l'avant-garde des révolutions arabes» et de l'Egypte, «le plus grand pays arabe et qui pourraient servir de modèles, en ce qui concerne l'édification de la démocratie dans la région». Le coût d'un tel laboratoire n'est, s'agissant de la feuille de route qui sera présentée par la Tunisie au G8, que de 2 à 3% du coût de la réunification allemande et inférieur au coût d'un à deux mois de guerre en Irak. Dans un monde tourné vers les pays d'Asie, et où les principaux axes d'échanges sont désormais le Pacifique, l'océan Indien et la mer Méditerranée, ouvrir l'horizon du G8 sur son environnement géostratégique international et tout particulièrement sur la Tunisie, pays précurseur d'une potentielle renaissance de la Méditerranée, se présente aujourd'hui pour l'Europe et les Etats-Unis comme étant une extraordinaire opportunité de long terme qu'il ne faudra à aucun prix gâcher. Soutenir et assurer la viabilité de l'évolution démocratique en Tunisie et dans la région, c'est, pour les pays du G8, assurer à coup sûr des bénéfices géostratégiques, politiques et économiques à long terme. «De nombreux pays de la région ont toute leur attention focalisée sur la Tunisie et un échec de sa transition démocratique serait une victoire pour toutes les dictatures de la région et une sévère défaite pour la démocratie. Au niveau international, la conséquence en serait la propagation des extrémismes ainsi que la multiplication des vagues de migrations fuyant ces extrémismes». Il faut espérer qu'avec une telle mise en garde, l'appel d'éminents économistes au G8 à soutenir la transition démocratique en Tunisie trouvera un bon écho auprès des dirigeants du G8 réunis en sommet à Deauville du 26 au 28 mai. Le soutien à la Tunisie transcende en effet la dimension tunisienne pour s'inscrire dans une dimension plus large, régionale et intercontinentale, qui conditionnera le devenir et la destinée de toute la Méditerranée.