• Des experts internationaux en matière de lutte contre la torture avancent des propositions et des recommandations L'Organisation contre la torture en Tunisie (Octt) a organisé, hier, au siège du Syndicat des journalistes tunisiens (AJT), un point de presse pour faire la lumière sur la visite en Tunisie d'une délégation d'experts internationaux de l'Organisation mondiale contre la torture (Omct). La rencontre avait pour but d'informer le public sur les constatations de cette délégation en ce qui concerne la torture et les conditions de traitement dans le milieu carcéral ainsi que sur les recommandations adressées au gouvernement provisoire. Prenant la parole, M. Gerald Staberock, secrétaire général adjoint de l'Omct, a indiqué que l'éradication de la torture et de tout traitement inhumain et dégradant s'avère, désormais, une priorité absolue et une condition vitale dans le processus de transition mais aussi dans l'instauration d'une politique fondée sur les principes démocratiques et le respect des droits de l'Homme. Le groupe d'experts en Tunisie a eu un dialogue franc avec le gouvernement provisoire, notamment avec le Premier ministre, le ministre de la Justice, le ministre de l'Intérieur, le ministre des Affaires sociales ainsi que le secrétaire d'Etat auprès du ministère des Affaires étrangères. Il s'est, également, entretenu avec les responsables de l'Instance supérieure de la protection des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique et ceux de la commission d'établissement des faits sur les abus et dépassements commis durant la révolution. «Durant nos visites antérieures, nous avions rencontré beaucoup de difficultés à communiquer avec le gouvernement. Aujourd'hui, nous nous félicitons de l'ouverture du gouvernement provisoire à la discussions et aux propositions de réformes pour un système pénitentiaire transparent», indique M. Staberock. En effet, le gouvernement provisoire a décidé de prendre en compte les décisions prises par le comité contre la torture des Nations unies et qui confirment la violation par la Tunisie, sous l'ancien régime, des conventions sur la torture. Par ailleurs, la délégation d'experts salue la déposition, par le gouvernement provisoire, des documents de ratification du protocole facultatif des Nations unies contre la torture. «Cet engagement s'avère important pour l'avenir d'une Tunisie démocratique puisqu'il sera la base d'un cadre juridique consistant pour la prévention contre la torture», souligne M. Staberock. La délégation d'experts a, toutefois, signifié son inquiétude quant à la continuation des actes de violence et de torture notamment durant la garde à vue, appelant vivement le gouvernement provisoire ainsi que la société civile à accélérer le processus d'éradication de la torture pour mettre un terme à cette violation des droits de l'Homme. «Un éventuel retard serait susceptible d'émousser l'enthousiasme», note l'orateur. Lutte contre l'impunité, réformes juridiques et pénitentiaires A la fin de sa visite en Tunisie — une visite qui s'est étalée sur une semaine — la délégation de l'Omct a passé un accord avec le gouvernement provisoire portant sur plusieurs points, cernant ainsi trois réformes majeures: la lutte contre l'impunité, des réformes au niveau du système pénitentiaire et des réformes juridiques. La lutte contre l'impunité constitue aux yeux des experts une question prioritaire. «Certes, des plaintes de victimes ont été déposées devant la justice. Toutefois, il convient pour l'Etat tunisien d'entamer des enquêtes sans devoir attendre la déposition des plaintes. Il s'agit de la mission morale de l'Etat que ce dernier doit accomplir. D'autant plus qu'il est indispensable — vu l'ampleur du phénomène — d'impliquer tous les acteurs y compris les juges, les procureurs, la société civile, et ce, afin d'être à l'écoute des victimes, de leur assurer leur droit à la réparation et d'engager au plus vite un processus efficace contre la torture», souligne M. Staberock. Pour ce qui est des réformes juridiques, les experts appellent à la mise en place d'une législation imposant le respect des droits de l'Homme et condamnant la torture. La protection des personnes en garde à vue est qualifiée par les experts comme étant une «véritable urgence». Elle ne peut être assurée sans le renforcement de la justice et la permission des avocats à apporter leur soutien dans de pareilles circonstances. «Il importe, également, de faire changer les mentalités, de veiller à la séparation entre la police judiciaire et les services de renseignement. C'est que les personnes ayant été impliquées dans le système de la torture ne peuvent plus poursuivre leur travail au sein des services de sécurité», ajoute le secrétaire général adjoint de l'Omct. Il note avec satisfaction le dynamisme de la société civile, ce qui ne peut que booster le processus de lutte voire d'éradication de la torture. Il ajoute qu'il est important, pour la Tunisie, de prendre comme repère les standards internationaux mais aussi d'appliquer les standards nationaux jusque-là inappliqués. Les experts appellent, en outre, à la création d'un mécanisme national pour la prévention contre la torture; un mécanisme indépendant et efficace et dont la mise en place ne doit pas dépasser un délai d'une année après la ratification du protocole facultatif de la convention des Nations unies contre la torture. D'un autre côté, et en ce qui concerne la réforme pénitentiaire, les experts soulignent la nécessité d'enquêter sur les dépassements et sur la violation des droits de l'Homme ainsi que sur la nécessité d'examiner et d'évaluer les réformes en tenant en compte des standards internationaux. «Nous avons pu visiter deux établissements carcéraux, à savoir la prison de Mornaguia et celle de Borj Erroumi. Ce qui est certain, c'est qu'en matière d'équipements, ces établissements ont besoin d'être remis à neuf. L'on a en outre décelé un grand besoin de transpaence dans ces établissements. Nous espérons, à l'avenir, que la prison soit la dernière alternative pour certains prisonniers. Nous avons, également, constaté que beaucoup de prisonniers, y compris de droit commun, ont cédé durant les séances de torture et qu'il convient d'enquêter sur ces aveux», indique M. Staberock. Avertir les tortionnaires qu'ils seront poursuivis Prenant la parole à son tour, M. Roberto Garreton, membre de l'Institut national des droits de l'Homme du Chili et membre du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, a précisé que la délégation d'experts a pour objectif d'aider à l'enracinement de la culture des droits de l'Homme. Une telle culture implique l'information infaillible du public quant au droit à la protection contre la torture. Elle nécessite, par ailleurs, un travail intégral comptant sur la bonne formation des agents de police, des militaires et des juges. «Il est impératif, pour la réussite de ce processus, que les responsables et les policiers soient avertis de l'évidence de la punition en cas de torture commise», indique M. Garreton. Et d'ajouter que le peuple tunisien se doit de réfuter, désormais, toute menace dictatoriale menaçant ses droits. Pour sa part, M. Emilio Ginès, vice-président de la Fédération des associations de défense des droits de l'Homme espagnole et membre du sous-comité des Nations unies pour la prévention contre la torture, a salué la révolution tunisienne et la transition que vit notre pays. «J'ai appris une grande leçon, notamment de la jeunesse tunisienne qui se rebelle contre la dictature et qui appelle à la démocratie. En Tunisie, le peuple est tout uni pour un seul but, ce qui constitue une précieuse opportunité que bon nombre de pays n'ont pas. La démocratie sera faite par le peuple même», indique l'orateur. Il propose, par ailleurs, la création d'une structure civile qui se chargera du contrôle dans les établissements pénitentiaires, «car, explique-t-il, les forces de l'ordre ne sont pas formées et ne sont pas qualifiées pour une telle mission».