Par Zouhaïer BEN AMOR* Après l'euphorie et le désordre post-révolutionnaire, période nécessaire pour mettre en place les modalités de la transition démocratique, le Tunisien essaye d'imaginer son pays après le 24 juillet ou le 16 octobre. Sans entrer dans les détails d'avant ou d'après le 14 janvier, après les reportages et les chroniques, nous laisserons cette analyse aux historiens. A sa haine pour les Ben Ali et les Trabelsi, la rue tunisienne voit à ce souci majeur, s'additionner une irritation, un questionnement, sur un avenir incertain. Le Tunisien n'est plus choqué seulement par l'argent des coffres de Ben Ali mais par des rumeurs sur des millions de dollars dont les islamistes disposent. L'enseigne du RCD, populairement démantelée de la sinistre bâtisse de l'avenue Mohamed-V, fait partie de l'histoire. Aujourd'hui, c'est l'immense écriteau «Mouvement Ennahdha» accroché sur la façade d'un siège loué à 20.000 dinars par mois à Montplaisir qui donne la chair de poule. Aux suspicions sur les errements de Sakhr, Leïla, Belhassen, s'ajoute l'énigmatique déplacement de Hamadi Jbali aux USA, et de Rached Ghannouchi à Paris… Cessons de tourner autour du pot et disons que la Tunisie s'interroge sur la réelle éventualité de prise du pouvoir par les islamistes. Le Tunisien, sans user forcément d'une terminologie politique appropriée : laïcité, modernisme, théocratie, craint de se voir confisquer ses acquis de liberté. En réponse à la nébuleuse islamiste, Ennahdha et ses neuf partis satellites, les progressistes multiplient les partis et les propositions purement intellectuelles, d'autre part, les anciens RCD créent de nouveaux partis pour sauver leur pouvoir certes, mais aussi craignant de laisser seuls les progressistes face aux «frères musulmans», la défaite serait inéluctable. Aujourd'hui, nombreux parmi les progressistes qui continuent, naïvement, à avoir des approches théoriques telles qu'opposer le Pr Talbi au cheikh Ghannouchi et à apostropher que ce dernier est plus dur que le «ténor» Mourou, considéré plus «potable» ou bien à essayer d'enchaîner «les religieux» avec des pactes citoyen ou républicain. Certes, la politique naît d'une gestation d'idées mais si elle n'accouche pas d'une stratégie adéquate, le nouveau-né ne verra jamais le jour. Que faire alors ? Aujourd'hui, je vois manquer des voix pour garantir une victoire confortable de la Tunisie de la modernité. Où sont ces voix qui font défaut, me diriez-vous ? Tout simplement dans une large base RCD, qui se réclame avant-gardiste, par son héritage bourguibien. Ces politisés des anciens régimes Bourguiba et Ben Ali, actifs et surtout plus facilement mobilisables que des intellectuels confinés dans leurs salons, sont souvent plus conscients des incertitudes du futur que la nouvelle portée de politiciens progressistes souvent maladroitement détachée d'une réalité méconnue. Le 25 juillet ou le 17 octobre, on va compter des voix, on va remplir les colonnes d'un tableau qui sera déterminant pour l'avenir de notre pays. A mon avis, la seule stratégie démocratique, pour garder une Tunisie à l'abri des doctrines salafistes, serait une réconciliation nationale avec les destouriens et des rcédistes intègres, sans s'arrêter de poursuivre les tortionnaires et les voleurs parmi eux. Quel serait le danger de réintégrer les plus probes parmi eux pour rebâtir une Tunisie généreuse, moderne, progressiste et démocratique ? Lancer un appel à tous les partis progressistes pour s'unir organiquement dans un front progressiste et cesser de taper sur les plus honnêtes parmi les hommes de l'ancien régime pour les charrier dans un grand mouvement populaire pour le modernisme et le progrès. Aujourd'hui, entre une dictature laïque et une démocratie islamiste, je préfère…continuer la lutte.