"La Grèce existera toujours, comme nous existons depuis 8.000 ans, hors de l'euro et de l'Union européenne". C'est le vice-Premier ministre grec, Theodoros Pangalos, qui s'exprimait avant-hier dans un journal portugais. "Certains pays, comme l'Allemagne, ont adopté une approche morale de notre problème. Les Grecs ont des problèmes. Pourquoi ont-ils des problèmes ? Parce qu'ils ne travaillent pas assez. Et pourquoi cela ? Parce qu'ils ont un bon climat, de la musique, des boissons et qu'ils ne sont pas aussi sérieux que les Allemands", déclare, on ne peut plus amer, le ministre grec. "C'est une façon de voir moralisante, raciale qui ne correspond pas à la réalité", a-t-il ajouté. Le même Theodoros Pangalos accusait tout récemment l'Allemagne de ne pas avoir indemnisé convenablement la Grèce pour l'occupation de son territoire durant la Seconde Guerre mondiale. Entre les Allemands et les Grecs, ce n'est plus la sérénité qui l'emporte. En février dernier, un sondage d'opinion faisait valoir que 70% des Allemands désirent que la Grèce soit expulsée de la zone euro. Un membre du Bundestag a même conseillé à Athènes de vendre quelques-unes de ses îles pour sortir de la crise. Ce n'est guère nouveau. Face à l'intérêt national, aux exaltations nationalistes et aux identités ostentatoires, les processus les plus volontaristes craquèlent. On a beau dire aux peuples du Vieux continent que leur intérêt est dans l'Europe unie, ce n'est pas toujours évident, surtout en temps de crise. L'ennui, c'est que les peuples européens ont sombré dans l'une des crises les plus graves du capitalisme mondial quelques années seulement après l'adoption de la monnaie commune, l'euro. Auprès du citoyen lambda saigné à blanc par un renchérissement faramineux du coût de la vie, loin d'être la panacée, l'euro serait un vecteur du désastre. Dès lors, les associations d'idées brodent dans le registre des peurs et des répulsions. Le malaise grandit, désespérément accru par une conscience malheureuse diffuse. Celle-ci est amplifiée par les relais et signaux du ressentiment et de la sinistrose. Déroutés, blackboulés, les peuples votent tantôt pour exprimer la sanction, tantôt la crispation, en désespoir de cause. Les récentes élections françaises et italiennes en témoignent respectivement. L'incrimination de l'Europe a bon dos. Cela a un nom soft, l'euroscepticisme. Et des doctrines hard, l'anti-européanisme. Le doute ne se limite guère à la seule multitude. Même les élites et les dirigeants s'y mettent. Et puis, au besoin, les européanistes les plus convaincus n'hésitent pas à croiser le fer avec l'Europe dès lors que leurs peuples s'en ressentent douloureusement. "Je suis prêt à aller à une crise en Europe plutôt que d'accepter le démantèlement de la politique agricole commune", a déclaré le 27 mars Nicolas Sarkozy, Chef de l'Etat français. Il s'exprimait après la cuisante déroute de son parti face à la gauche aux élections régionales françaises. Il a décelé dans quelques dynamiques européennes matière à aversion et colère chez le peuple français. Et il a tenu à envoyer un signal fort. La crise de légitimité est partout. La perte de repères signifie, avant tout, perte de valeurs. Lorsque les valeurs cardinales prennent la clé des champs, le sol se dérobe sous les pieds des gens. Et ils se mettent à tout démanteler, spéculativement, avant de s'abîmer dans des dynamiques de groupes autrement plus suicidaires. L'échange à boulets rouges entre Allemands et Grecs s'inscrit dans ce type de crispation. Le repli sur soi est le réflexe primordial de celui qui a peur. Et l'on assiste pantois à la réémergence d'attitudes, de dispositifs et de postures de rejet réciproque qu'on a trop vite considérés bannis du dictionnaire des Européens. Nationalisme quand tu nous tiens! S.B.F.