Une rencontre scientifique s'est tenue les 26 et 27 mai à l'Académie Beït Al-Hikma, sur un thème qui, soyons francs, ne fait pas courir les foules : la démographie. Il y avait pourtant du monde lors de la première journée, sans doute parce que le thème des communications présentait un lien avec notre actualité nationale. Mais il faut dire que l'enjeu est aussi de créer des liens universitaires entre la Tunisie et la France autour des questions démographiques... Du reste, c'est essentiellement des intervenants venus de l'Institut français d'études démographiques — partenaire dans l'organisation de la manifestation — qui ont animé ces deux journées. Mais la deuxième journée, plus technique, a donné lieu à une assistance plus que clairsemée. Même les spécialistes de chez nous étaient en petit nombre. On y a pourtant évoqué des thèmes qui auraient pu les intéresser, comme l'évolution des techniques et des principes de recensement, le déplacement des populations, ou l'immigration, à travers le cas du Tadjikistan, pays pauvre d'Asie centrale dont les jeunes vont chercher du travail en Russie, mais qui peut présenter des points de comparaison significatifs avec nos régions... Une communication concernait malgré tout la Tunisie et portait sur l'évolution du niveau d'instruction sous le double point de vue de la région et du genre. On y apprend, chiffres de l'INS à l'appui, que les données relatives à la scolarisation sont loin d'être si encourageantes qu'on nous l'a fait croire durant ces dernières années. En effet, jusqu'en 2004, ce sont quelque 60 % de nos compatriotes qui n'avaient pas dépassé le niveau du primaire. D'autre part, si la proportion des jeunes filles est bonne au niveau de l'enseignement supérieur, elle reste défavorable globalement, avec un écart de près de 20 % en faveur des garçons. Ce qui fait dire à M. Mohamed Ali Ben Zina, le conférencier, que les choses n'ont finalement pas beaucoup changé depuis l'indépendance, où l'écart entre analphabétisme des femmes (près de 100 %) et analphabétisme des hommes (80 %) était du même ordre. On apprend également que les régions où le niveau d'instruction est le plus bas sont le nord-ouest et le centre-ouest. Ces considérations ont pris une tournure quelque peu passionnée lorsqu'une question a été posée au conférencier qui concerne le lien entre ce faible niveau d'instruction dans ces régions et le départ de la révolution. Sans doute aurait-il fallu tenir compte du fait que ce type de rencontre mêle dans l'assistance deux publics assez différents l'un de l'autre : le public académique et le public non académique. Car affirmer, pour corriger une certaine conception admise des choses, qu'il existe autour de la figure de Mohamed Bouazizi toute une "représentation", qu'en réalité il n'était pas du tout diplômé comme on l'a fait croire, mais que c'était en fin de compte un individu ordinaire et très moyennement instruit, c'est heurter certains esprits, attachés aux symboles, et pour qui le personnage incarne l'exemple d'une jeunesse méritante mais désespérée par le manque de perspectives en vue d'une vie digne. Il est vrai que la froide objectivité du scientifique n'empêche pas le tact politique. De là à crier au discours anti-révolutionnaire, comme on l'a fait dans la salle, cela est un pas qui, lui, nous fait passer de la raison à la déraison... Mais bon, les incidents font partie de ce genre de rencontres : pourquoi la Tunisie post-révolutionnaire devrait-elle en être privée ?